Mission récupération

[Melkerah]

Après s'être rassasiés dans les règles, Uri, Saké et Thurias se mirent en route. La noctalienne avait rapidement rassemblé équipement et vivres et les avait répartis entre eux, expliquant qu'ils n'auraient pas de chevaux pour les porter et qu'il faudrait donc veiller à garder leurs forces chemin faisant. Non seulement les Umbra n'avaient pas de chevaux, mais ils les considéraient comme un encombrement inutile qui ne servirait qu'à les faire repérer.
La noctalienne leur expliqua ensuite qu'elle les emmenait au dernier campement connu de Romias et sa troupe et qu'il faudrait donc suivre leur piste à partir de là, puisqu'il avait réussi perdre ses poursuivants avec une efficacité exaspérante. A la vérité, l'odorat d'Uri lui permettait de suivre leurs traces sans mal, mais savoir quel chemin il avait emprunté ne la menait pas au traître, qui la connaissait trop bien.
Ils prirent la route de la forêt voisine de Clantor et s'y enfoncèrent en suivant un petit sentier sauvage.

[Thurias de Narzyom]

Thurias tenait son paquetage d'une main ferme, posé sur son épaule. Il avançait sans difficulté dans la forêt, alerte au moindre bruit d'animaux suspects. Sa démarche rapide faisait tinter les armes de son paquetage, et visiblement volontairement, de façon à éloigner les animaux, ou à attirer l'attention d'éventuels brigand. Les deux raisons semblaient aussi plausibles l'une que l'autre, ce qui fit rire Thurias entre ses dents. Prenant un peu d'avance sur la troupe, le barbare avait un aspect d'enfant sauvage inarrêtable, passant parfois dans les fourrés, s’éclipsant entre deux arbres avant de revenir à côté de la petite troupe. Il ne semblait pas se faire de bile à propos de l'économie de ses forces. Une fois revenu auprès d'Uri et Saké, il se permit d'entamer la conversation sur un ton léger :

"Y a une clairière pas loin, j'crois que c'est mieux pour la p'tite qu'on fasse une pause."

Tout en regardant Saké, Thurias avança à reculons avec un sourire au lèvres. Il continua plus sérieusement la conversation, reculant consciencieusement pour ne pas se prendre dans les branches :

"Par ailleurs, je trouves qu'y a pas mal de faune sauvage dans cette forêt, c'est plutôt étonnant. On devrait en profiter pour chasser et se faire plus de provisions."

N'ayant même pas attendu une réponse, Thurias sauta sur un surplomb et sortit son arc de son paquetage ainsi que son carquois, recherchant à l'avance d'éventuelles proies.

[Mortelune]

La tête de Saké résonnait comme une cloche de cathédrale. Elle avait arrosé le festin de la veille bien plus que de raison et s'était réveillée ce matin sur le parquet froid et inconfortable de sa chambre. Visiblement, elle n'avait pas eu les ressources nécessaires pour parvenir à se hisser jusque dans son lit. C'est à peine si elle avait eu suffisamment de lucidité pour préparer son sac de voyage.

Elle n'avait aucun souvenir de ce qui s'était passé durant le repas, ni même des conversations qui avaient pu se tenir. Pour la cohésion, elle repasserait. Elle espérait simplement ne pas trop s'être donnée en spectacle. 

Elle soupira de dépit en inspectant le paquetage qu'elle s'était préparé hier soir, alors qu'elle était ivre et qui contenait :

- Un oreiller
- Une brochure vantant les mérites d'une maison close de Clantor
- Un sac de cacahuètes grillées à sec
- Un shamisen traditionnel du Pays du Thé (Elle se demanda bien où elle avait pu dénicher cela...ou à qui elle l'avait "emprunté")
- Une petite figurine en peluche qui ressemblait vaguement à un loup.
- Un caillou en forme de lune
- Une paire de chaussons

A mesure qu'elle passait en revue ce bric-à-brac aussi inutile que saugrenu, elle maudissait la Saké qu'elle avait pu être la veille au soir. Chaque pas était une épreuve. Chaque mouvement de son corps lui demandait un effort phénoménal. Elle redoutait le moment où, contraint de déclarer forfait, son estomac se libérerait de ce qu'elle avait pu ingurgiter hier soir.

Elle avait bien envisagé l'idée de prendre un bon bain pour se donner un petit coup de fouet avant leur départ matinal, mais elle s'était déjà levée bien plus tard que l'horaire prévu de rendez-vous. Elle avait eut juste le temps d'enfiler son kimono et de coiffer ses cheveux en bataille. Elle faisait véritablement peine à voir. Disons, encore plus que d'habitude dans la mesure où ce matin, son charme naturel était aux abonnés absents. Une cerne immense creusait sa joue juste sous son œil gauche, tandis que la pupille blanche de l'autre était pour une fois presque visible entre ses mêches noires, tant ses cheveux étaient mal apprêtés. 

Les vas et viens incessant du remuant Thurias lui donnaient la nausée. Elle exultait intérieurement de ne pouvoir disposer d'un cheval pour pouvoir s'assoupir tranquillement. D'autant plus qu'elle possédait un oreiller qui semblait confortable par le plus grand des hasards !!! Complètement à bout et irritable à souhait, Saké ne rebondit même pas sur la petite pique du mercenaire qui sollicitait une pause pour le bien de la comédienne. L'idée de lui envoyer son nouveau shamisen en pleine tronche la tarauda pendant quelques instants avant qu'elle ne finisse par se raviser.

Elle eut, pour finir, un haut le cœur lorsque le Narzyite évoqua la possibilité de chasser. S'imaginer manger suffisait à lui donner envie de rendre dans la seconde.
Désespérément silencieuse, elle se contentait de marcher, le visage terne, le menton bas, à quelques mètres d'Uri. Afin de focaliser son attention sur autre chose que son malaise, elle sorti son instrument de musique de son paquetage.

Ce shamisen était véritablement magnifique, tout en bois laqué. Cet instrument, originaire du Pays du Thé est en fait cousin éloigné du luth traditionnel. Il est utilisé dans plusieurs styles musicaux, de la musique traditionnelle et populaire en passant par la musique de théâtre, voire expérimentale. Long d'un mètre, son manche est généralement taillé dans le bois de santal rouge. Le reste de l'instrument est généralement en peau de chat ou de chien. Les 3 cordes sont tendues et accordées en fonction du répertoire choisi, notamment comique ou dramatique. Le joueur de shamisen accompagne généralement un chanteur mais peu aussi jouer seul. Il utilise souvent un plectre, la plupart du temps en ivoire pour gratter les cordes et frapper la caisse.

Machinalement, Saké se mit à accorder son instrument et à gratter quelques notes. Le concept de discrétion lui passait pour le moment complètement au dessus de la tête. De toute façon, avec le raffut que faisait Thurias, il était déjà peine perdue de prétendre progresser silencieusement dans cette forêt. 

[Melkerah]

Uri s'efforçait de ne pas exploser de frustration face au boucan de Thurias et Saké. Elle s'était bien doutée que la furtivité n'était pas vraiment à leur répertoire, mais là, ça dépassait de loin ce que la noctalienne arrivait à supporter sereinement. Certes, ils n'approchaient même pas encore du campement où commencerait la traque, mais tout de même... Et le Narzyite espérait chasser ? Tout le gibier du secteur avait du fuir depuis longtemps déjà en entendant la fanfare arriver !
Mais elle savait que son humeur irritable venait en grande partie d'elle-même. Elle mourait d'envie de laisser s'exprimer sa nature de loup, éveillée par l'environnement et l'idée de la chasse, mais s'efforçait encore de la brider.
Elle soupira.

-Tu as raison, on devrait s'arrêter un peu pour le moment. Saké, tu n'as pas l'air bien, tu devrais te reposer. Je vais aller chasser de mon côté, peut-être pourrais-tu trouver des baies ou quoi que ce soit d'autre ? Se contenter de viande n'est pas franchement recommandé, et tant qu'on peut, je préférerais garder nos provisions pour plus tard.

Ils débouchèrent dans la clairière annoncée par le guerrier et y trouvèrent même un petit ruisseau à l'eau limpide. La noctalienne trouva un arbre mort gisant au sol et y posa ses affaires.
Malgré le bruit indéniablement malvenu dans cette situation, la musique décousue de Saké n'avait rien de désagréable à écouter, bien qu'il soit évident que son tout talent n'y était pas vraiment à l’œuvre. L'instrument en lui-même était magnifique. Les Umbra avaient déjà possédé ou juste vu passer de tels objets, mais jamais de cette qualité, ou alors dans un tel état qu'ils ne ressemblaient plus à grand-chose.
Chassant ces pensées futiles, Uri reprit.

-Bien, on reste donc ici pour le moment. Thurias, dis-moi dans quel direction tu pars pour la chasse, qu'on ne se gêne pas. Saké, je suppose que rester ici te convient.

Sur ce et sans vraiment attendre de réponse, trop impatiente de répondre à ses instincts de lycan pour se soucier du reste, elle partit dans les sous-bois. Une fois suffisamment éloignée, elle se transforma enfin. A la place de la noctalienne se tenait à présent une grosse louve noire, qui chercha et trouva bientôt une piste de cerfs. La chasse est ouverte !



Dans la clairière où se trouvait Saké, seule à ne pas être partie chasser, se trouvait une petite créature qui observait de ses yeux à facettes le déroulement des opérations. L'insecte était d'apparence peu habituelle : c'était un étonnant mélange entre une mante religieuse, un scarabée et une guèpe, presque aussi gros qu'une musaraigne, et bleu électrique irisé pour couronner le tout. Il restait dans les arbres qui encerclaient la petite clairière, mal dissimulé dans les feuilles à cause de sa couleur trop vive...

[HRP : je mets en kaki ce qui concerne la cible, afin de bien différencier le point de vue d'Uri des événements de la mission]

[Thurias de Narzyom]

Thurias que Saké avait forcé sur la bouteille la veille du départ. Il avait même été impressionné par sa descente : Pas mal, pour un p'tit bout comme ça ! Lui même avait descendu pas mal d'alcool et cela semblait le rendre encore plus imprévisible que d'habitude. Laissant les deux femmes s'installer à la clairière, Thurias répondit à peine à la question d'Uri :



"Au Nord-Ouest."

Il avait déposé son paquetage non loin de Saké et avait déjà armé une flèche. La transformation d'Uri le perturba quelque peu, mais, il avait vu pire. Avec le sourire au lèvre, il fonça dans la forêt d'une manière étrangement furtive. Ses pas étaient longs mais l'atterrissage de chacun ne faisait pas tant de bruit qu'ils paraissaient. Le barbare disparu de la lisière de la clairière en un éclair. A peine avait-il disparu derrière un arbre qu'on ne le voyait plus. Thurias marchait bas, humant l'air et observant les environs silencieusement, arc bandé en avant. Il se concentrait tel un animal sur n'importe quel bruit qui pouvait lui paraître suspect. Mais en réalité, seul une odeur lui indiqua une présence animal, celle de la fiente. Il se dirigea en direction de l'odeur afin d'inspecter celle ci. Il se trouva alors nez à nez avec une déjection de sanglier, et l'analysa quelques instant. Les selles semblaient plutôt consistantes et ne présentait pas d'aspect indiquant d'une mauvaise santé. Le narzyite leva les yeux et tourna lentement sur lui même, à l'affût de la bête. Alors que sa rotation était presque terminée, un bruit dans les fourrées à quelques mètres derrière lui le fit s'arrêter. Un couinement significatif le fit sourire un bref instant. Au menu, du sanglier ! Pensa t-il. Dans un mouvement risqué et plutôt brusque, Thurias se retourna vers la bête et ne perdit qu'une seconde pour le garder dans sa ligne de mire. La bête était assez colossale et il devrait mieux frapper le premier. A peine eût-il jaugé son adversaire que sa flèche s'élance dans sa direction. La flèche se planta dans le haut de son dos et le fit couiner, effrayant toute une flopée d'oiseau qui s'envolèrent depuis les arbres au dessus de la scène. Le sanglier n'est pas un animal simple à tuer. La douleur ne l'empêcha pas de charger Thurias qui, lui, prit le temps de replacer une autre flèche. Alors en ligne droit devant lui, la cible avançait à une vitesse vertigineuse et couvrait la distance entre lui et son traqueur avec une rapidité inhumaine. Mais le barbare ne broncha pas et lâcha sa seconde flèche qui vint percer le crâne de la bête au dessus des yeux, l'étalant un peu avant d'arriver sur le barbare. Thurias se décala pour laisser glisser la bête élancée jusqu'à l'arbre derrière lui. Grace à  la composition des flèches qu'ils utilisent, le barbare parvint à extraire les siennes de sa proie, les essuyant vaguement sur ses braies avant de les ranger dans son carquois. Thurias s'exprima alors en narzyite, profitant de sa solitude pour renouer avec son passé :



"Dojron, kolien uda suurmack !"

La chasse a été bonne ! En effet ! Ne perdant pas de temps en célébration, le barbare ne sembla pas se décourager du poids de la bête et la tira par les pattes arrières pour revenir jusqu'à la clairière, s'aiguillant par le son du shamisen. Mais quelques mètres avant d'arriver à la clairière, Thurias se sentit observé. Une bête ? Un bandit de grand chemin ? Il pensa en lui même qu'il était un peu embêté si le combat venait à arriver. C'est vrai après tout ! Il n'avait que son couteau de chasse, et ce couteau de chasse, il n'avait pas envie de l'abîmer, car il en aurait besoin pour dépecer la bête. Il renifla tout autour de lui et prêta attention au moindre bruit.

[Mortelune]

[hrp : Thuthu, je suis pas sûr que tu aies pu assister à la transformation d'Uri... Il me semble qu'elle s'est volontairement mise à l'écart pour ne pas être vue par nous. A confirmer par l'intéressée^^]

Saké dodelina mollement la tête en réponse à Uri, lorsque celle-ci lui demanda si elle souhaitait rester dans la clairière. La comédienne jeta sans précaution son paquetage à proximité des affaires d'Uri puis disposa avec plus de soin l'épée de maître qu'elle portait en bandoulière, son ombrelle et son instrument, au pied d'un grand bouleau à l'écorce souple. Elle se laissa ensuite glisser contre l'arbre et ferma les yeux une fois les fesses posées sur le sol.
Une dizaine de minutes après le départ des deux chasseurs, passées à somnoler à moitié, elle trouva finalement la motivation de se relever.

Elle fit rapidement le tour de la clairière tout en essayant de détecter des ressources potentielles. Elle trouva quelques baies rouges, couramment utilisées pour assaisonner les plats, mais aussi de quoi remplir un petit bol de ce qui ressemblait à des mures. Elle ramassa également au passage suffisamment de bois sec pour allumer un feu de camp, si les autres le jugeaient utile. Elle disposa le bois au centre d'un cercle de pierre préalablement disposé.

Une fois cela fait, elle se laissa à nouveau tomber comme une larve contre son bouleau. Elle reprit alors en main son shamisen, à présent parfaitement accordé après ses premiers accords hésitants.

Alors qu'elle commençait à entonner quelques notes mélodieuses, Saké eut l'étrange impression d'être observée. En d'autres circonstances et dans un état de forme plus optimal, elle aurait certainement mis moins longtemps à localiser la cause de cette étrange sensation.

Elle repéra finalement l'anomalie, non sans mal. Les couleurs extrêmement vives de l'insecte l'y avaient grandement aidé. Ses capacités de réflexion étant actuellement proches du néant, compte tenu de sa gueule de bois carabinée, elle ne fit pas le rapprochement entre la présence de cet insecte et les capacités évoquées par Uri au sujet de Romias.

Elle avait pourtant clairement abordé le sujet du contrôle des insectes.

Pour Saké, il ne s'agissait de rien d'autre qu'un petit cloporte attiré par la présence de campeurs et donc de nourriture potentielle. Un peu comme les guêpes et les fourmis qui ne manquent jamais de rappliquer dès que l'on organise un pic-nique. Saloperies de bestioles parasites...

Pour toute réplique à cette agression territoriale éhontée, elle se contenta de jeter grossièrement un caillou en direction de l'insecte pour le faire fuir, se disant que cela suffirait bien, et qu'elle avait bien d'autres choses à faire que de courir après une libellule ou je-ne-sais-quoi qui vole et fait bzzzzzzz. Genre dormir par exemple, ou jouer un peu de musique en comatant.

Elle repositionna son dos contre son arbre préféré, non sans avoir au préalable, intercalé l'oreiller dérobé à la Taverne du Loup Hurlant à la Lune. Elle se remit ensuite à ses gammes.

[Melkerah]

[HRP : Thurias, Mortelune a raison, Uri s'était éloignée pour se mettre hors de vue avant de se transformer. Mais bon, on va pas en faire un fromage ^^"]

Juste avant l'impact du caillou lancé par Saké, l'étrange insecte déploya ses deux paires d'ailes transparentes dévoilées par les élytres bleues ouvertes, et s'envola dans un vrombissement retentissant. Il tournoya un moment, comme affolé, autour de la clairière, avant de se poser sur le tronc qui servait de dossier à Saké. Là, il entreprit de nettoyer les énormes faux qui lui servaient de pattes avant, sans lâcher la jeune femme de ses yeux inexpressifs.

Après une chasse fructueuse, une biche charnue dont la gorge n'était plus qu'un vague amas de chair déchirée, Uri reprit sa forme de noctalienne et entreprit de ramener sa proie à la clairière où attendait Saké. Une fois de plus, sa seconde nature de lycan prouva son utilité en lui donnant la force nécessaire pour tracter la bête sans trop d'efforts. Autrefois, même une proie plus petite aurait été un défi à déplacer pour Uri, qui n'était qu'une noctalienne chétive. Et ses capacités noctaliennes n'auraient même pas pu l'aider à l'époque, alors qu'aujourd'hui, elle aurait sans doute pu s'en servir pour porter le cadavre de l'animal. Décidément, elle commençait à apprécier ce qu'elle était devenue.
Elle arriva à destination, où Thurias avait déjà ramené un gros sanglier, et entreposa sa prise à côté de l'autre.
Soudain, quelque chose lui attira l’œil. Un insecte. Et pas une banale libellule, ni un innocent scarabée. Non, de toute évidence, une telle créature n'était pas d'origine naturelle... Sans prendre le temps de s'expliquer, Uri se précipita vers l'espion chitineux et l'écrasa d'une masse noire sortie de nulle part et évaporée aussitôt. La bestiole, méchamment cabossée et incapable de s'envoler, était pourtant encore vivante. Agacée, la noctalienne sortit une de ses dagues et la planta dans les restes de l'insecte, qui ne bougea plus.

-On est attendus, commenta simplement Uri.

Puis elle ôta sa dague du minuscule cadavre, l'essuya et la rangea. Elle jeta un œil aux vivres récoltés par les deux autres et hocha la tête d'un air admiratif.

-Belle prise, Thurias, dit-elle. Par contre, Saké, je n'y connais rien en baies, alors je ne peux que tu faire confiance !

[Thurias de Narzyom]

Le barbare n'entendit plus qu'un lointain petit bourdonnement d'insecte. Cependant il n'avait pas l'impression de l'avoir réellement entendu, mais plutôt... Ressenti. Il pénétra alors dans la clairière avec un air interrogateur, comme si il ne croyait pas ce qu'il venait de ressentir. Saké était assise contre un arbre en train de gratter son fameux shamisen qui ressemblait à un instrument narzyite du même genre, mais aux sonorités bien moins pincées. Elle était en train de faire aller ses doigt d'une manière plutôt mélodieuse, et le rappel de la musique lui donnait presque envie de chanter. Mais non... Thurias n'aura pas le courage de montrer ce que sa voix cache juste parce qu'un peu de musique le met à l'aise. Il secoua la tête et se dirigea d'un bon pas vers la position de Saké et déposa son gibier non loin d'elle. Son air renfrogné persistait sur son visage. Il ressentait encore cette présence.

Il humait l'air tel une bête qui pisterait son repas. Pas vraiment d'odeur, juste ce vrombissement lourd qui percutait son oreille et son esprit. Il chercha dans tous les recoins d'où cela venait, puis il aperçu une sorte d'insecte, encore inédit à ses yeux, posé au dessus de saké. Il s'approcha de la bête sans même lui chercher querelle, simplement curieux. Thurias ne connaissais pas vraiment ce genre d'insecte dans le froid de sa contrée natale. Uri était elle aussi revenue de la chasse. Il lâcha alors l'insecte des yeux, toujours avec son air interrogateur. Il vint inspecter la prise de la noctalienne. Pas mal ! Ça fera suffisamment de barback pour une bonne partie de la route. Surtout vu le calibre de Saké et d'Uri, il pourrait probablement profiter d'une part plus juteuse, sans même penser de manière égoïste, il espérait simplement pouvoir profiter de ces victuailles. Mais un bruit interrompit sa rêverie. Il se tourna vers ce dernier et vit Uri planter le petit insecte qu'il avait précédemment repéré. La Noctalienne expliqua son geste par 3 simples mots qui firent sourire le mercenaire. Thurias avait soif de combat. Mais son sourire demeura figé un instant : Thurias avait ressentit un vrombissement, probablement lié à cette bête. Cette dernière devait faire partie des insectes dont Uri avait parlé. Il s'étonna alors d'avoir été ainsi aiguillé par une puissance invisible. Ce fût quelque chose de révélateur dans l'esprit de Thurias.

Le barbare avait déjà ressenti ce genr de chose auparavant, mais l'avait vite relégué dans un coin de sa mémoire. Il se remémora la gorgone et ce qu'il sentait lorsqu'il se trouvait proche de ce monstre infernal. Il serait sensible à la magie ? Aurait-je hérité de mon père ? se questionna t-il. Tout ce qu'il sai, c'est bien que ceci ne lui avait pas été défavorable.

Il se tourna vers Uri lorsque cette dernière le félicita pour son sanglier et ne répondit que d'un sourire satisfait avant de sortir son couteau et de commencer à dépecer l'animal. Une fois la peau de sanglier ôté et les tripes vidées, Thurias entreprit même de faire un feu. Il usa de deux bout de bois et d'un peu d'herbe sèche pour faire prendre le feu. Ses mains épaisse le protégeait de la douleur lorsqu'il déposait les brindilles sur le feu. Malgré son aspect extérieur redevenu apathique, Thurias se questionnait toujours sur ce qu'il avait ressenti, et il ne décrocha pas un mot à Uri ou Saké pour les avertir de quoi que ce soit.

HRP:

[Mortelune]

Saké sursauta légèrement lorsque Uri s'occupa de l'insecte à sa façon. Perdue qu'elle était dans la contemplation de sa mélodie, elle n'avait guère prêté attention aux agissements de la bestiole vrombissante qui s'était finalement posée non loin d'elle. Malgré son apparente désinvolture elle nota néanmoins l'étrange objet éthéré, semblable à une masse, qu'Uri avait invoqué pour neutraliser le nuisible. Ce genre de pouvoirs n'était pas donné à tout le monde. En général, les assassins en étaient plutôt friands de ce type de compétences car l'absence d'armes matérielles leur permettait d’évoluer plus discrètement et plus librement. Mais n'est pas invocateur qui le souhaite. Saké jugea qu'il n’était pas opportun pour le moment de questionner son commanditaire sur ce sujet. Il lui était néanmoins plutôt agréable de constater qu'elle avait du répondant et quelques dispositions intéressantes pour le combat.

Alors qu'Uri expliqua la présence de cet insecte comme le signe qu'ils étaient surveillés, la comédienne observait fixement ses fines ailes bleues s'agiter nerveusement après sa mort. Ce genre de phénomène avait toujours plu à Saké. Il lui était arrivé d'observer, elle même, les réflexes post mortem de certaines de ses victimes avec une certaine fascination... Morts et vivants la fois ! Comme c'était amusant !

Tout en observant ce macabre spectacle, Saké pensa qu'elle offrait elle même une bien piètre prestation à ses deux compères. Elle n'avait même pas eu le bon sens de faire le lien entre cet émissaire chitineux et leur cible. Elle imputa cela sur le fait de son piteux état. Il lui fallait se remettre les idées en place sans plus attendre.

Alors que Thurias, étrangement songeur depuis son retour au campement, se chargeait d'attiser le feu, la jeune artiste se leva lentement puis répondit à la question d'Uri au sujet des baies

-"Hé bien, il s'agit de baies rouges. Elles ont une vertu aromatique plus que nutritive. Disons qu'elles adoucissent légèrement le caractère corsé de la viande de gibier. Et ça, là, ce sont des mûres, pour le dessert " dit-elle en souriant de façon crispée, tout en désignant le petit bol remplis de fruits sombres.

Saké se dirigea ensuite vers les paquetages entreposés non loin d'eux et après quelques secondes passées à fouiller dedans, en sorti deux larges outres d'eau. Sans se retourner vers ses collègues elle s'adressa à eux :

- "Je vais profiter de la présence du ruisseau non loin pour y remplir nos outres à ras-bord. Pas sur qu'on retrouve une eau si claire plus loin." Elle noua alors les sangles des deux récipients et posa celles-ci à cheval sur son épaule. Après quoi elle s'empara de sa large épée et s'enfonça dans les fourrés avant de disparaître complètement de la vue de Thurias et Uri. 

Dès qu'elle fut suffisamment éloignée, Saké s'agenouilla près du cours d'eau et utilisa une technique de dégrisement vieille comme le monde... Après l'inconfort vint le soulagement. Enfin... Son estomac libéré, c'est une nouvelle Saké qui remplaça l'ersatz de celle qui était parvenu dans cette clairière. Elle rinça abondamment son visage. La fraîcheur de l'onde lui fit un bien fou. Elle passa ensuite sur son front et ses joues un pan de son ample toge noire pour se sécher puis, recoiffa en quelques gestes sa mèche et ses cheveux en chignon tout en observant son reflet dans l'eau.

Voila, elle ressemblait enfin à quelque chose et était techniquement opérationnelle. Elle n'oublia pas de remplir les outres avant de regagner le campement et d'y rejoindre ses compagnons. A présent en pleine possession de ses moyens, elle s'installa de façon bien plus correcte que précédemment et s'agenouilla avec élégance, devant le feu qui commençait à crépiter.


Il régnait un silence un peu gênant. Un peu comme lorsque chacun attend de l'autre qu'il brise la glace en lançant un sujet de conversation. Evidemment, dans ce genre de situation, Saké excellait. Sa mémoire regorgeait d'anecdotes à conter ou de situations coquasses à décrire. Il suffisait de choisir celle qui serait là plus propos pour plaire à l'assemblée.

Rompant le silence elle se lança alors :

-"Saviez-vous qu'un jour - dit-elle, l'air sérieux et l’œil fier - alors que je voyageais dans contrée dont la frontière jouxte celle du Pays du Thé, je fus prise à parti dans un taverne peu fréquentable, par une bande de six Orcs qui m'accusait injustement d'avoir triché au jeu de go. Pfff... Comme si j'avais besoin de tricher pour battre un Orc au jeu de go... Mais bref passons. Toujours est-il que les Orcs, sont de forts mauvais joueurs et ils ont la rancune tenace. J'en veux pour preuve le fait qu'ils m'aient suivis treize jours durant pour me réclamer leurs mises. Les sagouins.... Je n'avais pas franchement prévu d'être prise en chasse et j'ai donc été contrainte de mettre en place certains stratagèmes pour tenter de les distancer. Au bout du huitième jour, je pensais les avoir semés si bien que les quatre jours qui suivirent je ne décelais aucune trace d'eux. Mais ces troufions se révélèrent être des pisteurs experts. Probablement les Maîtres chasseurs de leur clan ou je-ne-sais-quoi... mais peu importe. Ces pue-la-bouse ont finalement réussi par me surprendre aux aurores... dans un moment d'intimité, le matin du treizième jour. Il se trouve que j'étais alors occupée à nettoyer mes vêtements. Nul besoin de vous décrire leur réaction lorsqu'il me tombèrent dessus par surprise, armés jusqu'aux dents, alors que j’étais nue comme sylphide des bois jolis et que mes armes étaient situées à plusieurs mètres de moi, évidement hors de portée. Autant dire que j'allais y passer".

Saké marqua une pause dans son récit et les traits de son visage dévoilèrent un sourire carnassier, elle attisa alors les braises qui commençaient à se former à la base du feu de camp. Puis, la comédienne reprit alors le fil de son histoire en la contant avec enthousiasme et grandiloquence.

-"Bien évidemment tout ne se passa pas comme prévu pour eux. Face au nombre et dans ma situation je dû faire profil bas et me rendre. Sans même attendre leur réaction je leur promettais le retour de leurs mises et de leur faire don de ma bourse. Ils acceptèrent volontiers tout en m'indiquant que cela n'occulterait pas le fait qu'ils aient l'intention de me violer puis de me décapiter une fois leurs gains récupérés... ou bien était-ce l'inverse ? Hmmmm.... Peu importe. Ce à quoi je répondais à mon tour que c’était tout à fait normal, que la vie d'aventurier encourait ce genre de mésaventures et qu'on n'était guère à l'abris de nos jours, d'un viol ou d'une décapitation... Suite à quoi alors que nous étions en train de regagner mon campement j'attirais leur attention sur le fait que, s'il me serait aisé de leur rendre leurs mises de façon équitable, ma bourse comptait sept pièces d'or, pas une de plus, pas une de moins... et que j'étais disposée à les répartir entre eux de la façon qui leur conviendrait le mieux. Evidemment, je savais pertinemment qu'ils ne parviendraient jamais à se mettre d'accord sur la répartition des sept pièces sans faire usage de la force. Comme prévu donc, ils s'affrontèrent dans un gigantesque pugilat, de façon presque grotesque. Au bout d'une vingtaine de minutes il n'en resta plus qu'un debout sur les six... mais dans un état tel, que même un enfant de quatre ans aurait pu en venir à bout en tapant dessus avec un bout de bois. L'Orc agonisant me trouva face à lui, belle comme le jour, les cheveux au vent et l'épée à la main,prête à en découdre et illuminée que j’étais par l'astre solaire flamboyant qui me donnait des allures de déesse justicière....Ahem... mais je m'égare un peu. Bon au final, sûr de sa défaite, il préféra mettre fin à ses jours plutôt que de se voir occis par une femme initialement vaincue d'avance et à poil qui plus est...."

Saké souriait à nouveau, comme amusée par le souvenir que lui évoquait sa propre histoire. Elle reprit alors une dernière fois la parole pour conclure son récit.

-"Dans mon Pays, on dit souvent qu'il est plus efficace de compter sur les faiblesses de l'ennemi que sur ses propres forces. En raisonnant ainsi il se trouve donc des situations dans lesquelles une jeune femme nue peut vaincre six Orcs sans même faire usage de son arme. L'absence de cohésion était clairement la faiblesse des Orcs pour lesquels seule la loi du plus fort n'a de valeur."

Après ces quelques mots, Saké se tût et sortit sa longue pipe d'un des revers de son ample tunique noire. Après l'avoir bourrée de tabac brun, elle la passa rapidement au dessus du feu pour que celui-ci l'embrase. Puis, elle porta l'extrémité du fumoir à ses lèvres fines avant d'en aspirer doucement les volutes. Son œil semblait, comme souvent, fixer le vide, et donnait à la comédienne l'impression d'être perdue dans ses pensées.

[Melkerah]

Tandis que Thurias s'occupait de son sanglier, Uri fit de même avec sa propre prise. Saké alla remplir les outres dans le ruisseau proche, mais la noctalienne nota un subtil changement dans l'odeur de la jeune femme quand elle revint.
Ensuite, un silence lourd se posa sur le petit groupe. Thurias paraissait perdu dans ses pensées, ce qui ne ressemblait pourtant pas au personnage qu'avait perçu Uri, mais personne ne commenta. Elle n'était pas du genre à extorquer aux autres leurs secrets et pensées personnels. Enfin, Saké ramena une ambiance plus détendue avec une anecdote pour le moins étonnante.

-C'est toujours utile de savoir profiter des forces et des faiblesses de l'adversaire pour le mettre hors-jeu, approuva-t-elle à la conclusion de Saké. S'ils avaient été moins portés sur la force brute, tu n'aurais sans doute pas eu la même chance...

La noctalienne se demanda un instant ce qui se serait passé si, au lieu de six orcs, il s'était agi de six noctaliens. Mais la question lui parut de tellement peu d'intérêt qu'elle la laissa tomber. A la place, elle décida d'ajouter une de ses propres expériences à la conversation.

-Un jour, j'ai dû récupérer un objet volé par des commerçants malhonnêtes, dit-elle en passant volontairement sur les détails. Enfin, l'idée n'était pas de le rendre à ses propriétaires d'origine. Toujours est-il qu'ils étaient trop habitués pour le laisser sans surveillance, je ne pouvais donc pas juste aller le prendre et repartir. J'ai du ruser. J'ai réussi à faire croire à l'un d'eux que les deux autres avaient profité de lui pour obtenir l'objet et voulaient partir avec pour profiter des gains sans lui. Du coup, il a déplacé l'objet. Ensuite, j'ai tourné les choses pour que les deux autres croient eux aussi à une arnaque, en suggérant que l'un d'eux devait forcément être complice du premier. Ils se sont disputés, je me suis arrangée pour qu'ils retrouvent l'autre, et ils ont oublié toute prudence pendant qu'ils se criaient dessus. Du coup, j'ai pu passer, prendre l'objet et partir sans qu'ils s'en rendent compte tellement ils étaient obnubilés par l'arnaque dont ils croyaient tous être victimes. Finalement, ils ont été arrêtés par la garde municipale pour vol et arnaque, et tout un tas d'autres affaires les concernant ont été ressorties, donc plus personne n'a pensé à l'objet disparu. Ceux-là se sont fait avoir par leur propre malhonnêteté. Et par une gamine de onze ans, accessoirement.

C'était là sa toute première manipulation en solo. Il lui avait été très utile d'avoir l'air inoffensive et innocente, car personne ne s'était méfié d'elle ; pourtant elle avait fini grande gagnante de l'affaire, puisque les propriétaires d'origine de l'objet en question avaient payé une fortune pour récupérer leur bien.
Se rendant soudain compte que Saké et Thurias risquaient de trouver étrange qu'elle ait fait ça si jeune, elle sourit d'un air contrit et retourna à la préparation de la viande pour la conserver.

[Thurias de Narzyom]

Le barbare ne semblait pas choqué par le jeune âge d'Uri ni même par la nudité de Saké lors de s vengeance. Tout ce que Thurias dit à propos de ce qui venait de lui être raconté fût :

"Vous avez... De biens étranges histoires. Ça parle plus souvent de minauderie que de bravoure."

Thurias restait assis en tailleur devant son sanglier qui rôtissait, posé sur la peau de l'animal. Il faisait tourner sa prise sans trop de mal malgré le poids encore conséquent de la bête. Il quitta des yeux son repas pour observer tour à tour Saké et Uri. Il sortit alors de ses pensées et pouffa avant de prendre la parole :

"J'ai une histoire moi aussi, mais, c'est pas l'même cheminement."

Le barbare rajouta quelques brindilles pour faire prendre le feu plus intensément avant de débuter son récit :

"Lorsque j'étais à Thtronm, j'avais quelques bons amis orcs. Enfin, ça peut choquer ceux qui ne sont pas de mon pays, mais c'est plutôt courant chez moi. Quoi qu'il en soit, le chef d'un clan du sud de Narzyom - je saurais pas dire lequel, il y en a une bonne centaine dans le sud - il est arrivé aux portes de Thtronm avec son armée, mais pas de catapultes. Le chef de notre clan est sorti pour parlementer avec lui. Par pitié probablement. Alors il a demandé 'Pourquoi venir avec juste ces hommes et pas d'armes de siège ?'. Le chef de clan a répondu qu'il serait capable de faire tomber Thtronm d'un simple cri. Ce chef était un orc de 9 pieds de haut, muni de deux haches d'armes qu'il maniait comme de simples glaives. Sa peau brune était jonchée de tatouages blancs qu'on appelle 'Krâonsh'. Ce sont des tatouages rituels orcs fait à base de poudre d'os des vaincus : Plus un orc en a sur lui, plus il a de victoires. C'est comme ça en Narzyom en tout cas. Quoi qu'il en soit, il demandait à voir le plus fort guerrier de Thtronm, et si ce dernier parvenait à le vaincre, et bien, il n'envahirait pas notre cité. Alors que tous mes compères se battaient pour montrer à cet orc du sud qu'ils sont prêts à en découdre avec lui, je me suis simplement avancé vers lui - j'avais ... 16 ans si je me souviens bien. Alors tout le monde a décidé de se taire et ils m'ont regarder avancer vers lui, sans armes. Le chef orc s'est marré à s'en faire péter les muscles abdominaux. Mais il ne savait pas qu'il avait fait la plus grosse erreur de sa vie : Il était venu dans la région nord de Narzyom. Ce ne sont pas les mêmes température, le même environnement ni le même vent. Alors il m'a fait un signe de tête pour me dire qu'il acceptait, et il ajouta 'Après en avoir terminé avec celui-ci, vous m'enverrez votre meilleur guerrier'."

Thurias décrocha le sanglier des tréteaux et commença à découper les parties comestibles du sanglier. Il décrocha même les yeux de ce dernier pour les manger directement, non sans grimacer. Tout en continuant sa boucherie, il reprit son récit :

"Ses hommes s'étaient éloignés pour laisser un semblant d'arène entre les remparts de Thtronm et eux même. Alors l'orc ne s'est pas démonté, il m'a chargé. J'ai eu le temps de voir qu'il n'était pas très rapide, déjà affaibli par le voyage et le froid, alors je me suis fléchi et je l'ai fait passé au dessus de moi pour qu'il valdingue sur la roche qui recouvre le sol devant la grande porte. Ce qu'il faut savoir, c'est que les orcs du sud de Narzyom sont probablement cousins avec les orcs débiles que Saké a rencontré, alors ce dernier ne s'est pas démonté, il a chargé encore, mais cette fois-ci plus furieux encore. Il a manqué de précision, manqué de réflexion et le fait qu'il charge plus vite que la fois précédente n'a fait que me rendre plus réactif. Je l'ai laisser charger dans sa trajectoire, esquivant d'un bond. Alors les guerriers de Thtronm se sont mis à se payer sa tête. En rage, il a frappé comme un dément vers moi. J'ai plongé sur ses jambes de tout mon poids, passant sous ses haches et je l'ai fait basculer en arrière. Il s'est cogné le crâne sur le sol et a lâché ses haches sur le coup de la surprise. J'en ai alors ramassé une et l'ai planté dans son crâne. Son armée d'orcs du sud ne savait plus comment réagir, alors les guerriers et guerrières de Thtronm se sont chargés de les chasser de nos terres."

Thurias entama une des cuisse du sanglier et conclu son histoire :

"Les orcs du sud de Narzyom sont de redoutables combattants, seulement ils oublient vite qu'après des jours de voyage sans manger, pour se diriger vers le nord et l'altitude ou l'air se fait plus rare, et bien, ils sont affaiblis. Seulement peu de guerriers de Thtronm le savaient. Si ils nous avaient assaillit, on aurait peut être pas réussi notre défense si facilement, mais en un contre un, c'était couru d'avance."

Le barbare se mit alors à rire et secoua la tête comme ci il se rappelait d'une beuverie entre amis. Il se repaissait de la chaire d'animal tel un loup affamé. Il leva à nouveau les yeux vers Saké et Uri et ajouta :

"Mais la partie la plus drôle de cette histoire, je la garde pour moi. En tout cas, tu vas un peu trop vite à propos des orcs, Saké, la plupart de ceux qui vivent en mon clan sont loin d'être si stupides que tu les décrit. C'est probablement la proximité d'abrutis comme on peut ne trouver ici qui les rends si... Pitoyables"

Le barbare se tût alors à nouveau, dévorant son repas comme ci il fût le dernier. Il avait encore le sourire aux lèvres à propos de son histoire. Il observa tour à tour les réactions de Saké et Uri.

[Mortelune]

Saké fumait nonchalamment sa pipe en observant les flammes qui attisaient la viande, Zabuza blottie à ses côtés semblait endormie. Une fumée relativement épaisse commençait à s'élever dans le ciel depuis le brasier. Elle se demandait pour elle même s'il n'était pas imprudent de signaler si ostensiblement la présence de leur campement à un ennemi potentiel, puis se rappela l'épisode de l'insecte. De toute façon leur ennemi les avait déjà probablement localisés.


La comédienne avait écouté les histoires d'Uri et Thurias avec attention et était relativement satisfaite d'avoir pu initier ainsi la conversation. Tout serait plus simple à présent. Les faits d'armes de ses deux comparses étaient plutôt impressionnants, bien que très différents dans leurs contenus, comme on aurait pu le deviner.


Cependant ils avaient un point commun. Le fait d'avoir mis à contribution leurs compétences très jeunes. Saké elle, avait mis à nu ses talents bien plus tard, peu après sa rencontre avec le Théâtre des Songes. Si elle pouvait comprendre aisément que Thurias eut à s’exercer au combat dès son plus jeune age, comme l'exigent les coutumes de la plupart des clans Narzyites, elle se demandait la raison pour laquelle Uri, encore pré adolescente avait été confrontée à de telles responsabilités.


Alors qu'elle songeait à ces considérations, d'un mouvement sec, Saké sectionna une partie du cuissot du sanglier qui lui faisait face à l'aide d'une épée courbe à lame fine qu'elle avait discrètement extirpé de sous son ample vêtement et rengainée aussitôt la découpe effectuée. Elle souffla délicatement sur le met encore fumant pour le refroidir quelque peu et en saupoudra la peau brunie de quelques baies rouges écrasées entre ses doigts sales.


Les histoires contées étaient riches d'enseignements. C'est aussi en partie pour cette raison qu'elle avait choisit d'initier la conversation en ce sens plutôt qu'en lançant une banale conversation au sujet de la météo... Bien connaitre ses alliés était aussi important que de connaitre ses ennemis, surtout lorsque l'on évolue à leurs côtés depuis une journée seulement.


Saké décida de rebondir sur la remarque de Thurias au sujet de sa promptitude à juger les Orcs.

-"Mais Messire Thurias, loin de moi l'idée d'insinuer que tous les Orcs sont des brutes écervelées. Voyez-vous -dit-elle en mettant un point d'honneur à maintenir le vouvoiement - ceux là l'étaient. Et votre exemple ne fait que me conforter dans mon idée qu'il y a peu de chance qu'un Orc soit nommé prochainement Chantre des Arts et des Lettres. Je ne souhaite pas entretenir les clichés, mais la force brute est souvent mise en avant dans les clans Orcs. C'est un constat, pas une moquerie. Les chefs élus le sont souvent sur des critères guerriers et non pas sur des preuves de sagesse, comme chez les Elfes par exemple. Après je ne dis pas qu'il existe des Orcs intelligents. Mais ils se cachent fort bien ! Mais ne prenez pas la mouche, je n'ai rien contre les Orcs, et puis bon, vous n'êtes pas Orc vous-même donc rien n'est perdu ! Et puis je suis bien d'accord, il faut se méfier des apparences ! Elles sont parfois trompeuses !"

Saké finit sa phrase en riant doucement avant de mordre à pleines dents dans son cuissot dégoulinant de gras. Afin d'éviter que la mèche de cheveux qui masquait son œil meurtri ne vienne gêner son repas, elle la plaqua vers l'arrière et la fixa au reste de son chignon à l'aide d'une fine baguette métallique qu'elle sorti de sa manche. Pour la première fois depuis leur rencontre, Uri et Thurias pouvaient observer la longue balafre qui traversait son œil droit blanchâtre de haut en bas.

Tout en mastiquant elle tenta de poursuivre de la façon la plus audible possible :

-" Moi par exchemple, si ch'etais née Orc, che cherai probablement couverte de Kraônsh !" elle finit par déglutir bruyamment.

-"Mais sur ma peau on verrait pas grand chose, c'est dommage...".

Avec une certaine hargne Saké se mit ensuite à ronger l'os qu'elle tenait entre ses mains. Une fois parfaitement nettoyé elle le jeta avec désinvolture derrière elle, d'un geste du bras. Puis, elle lécha un à un les bouts de ses doigts afin d'en faire disparaître la graisse disgracieuse. Enfin elle tourna son visage vers Uri et tenta de jouer cartes sur tables.

-"J'ai beaucoup voyagé, Dame Uri, comme je l'expliquai plus tôt. J'ai voyagé parfois contrainte et parfois libre. J'ai vu de nombreuses contrées mystérieuses et rencontré de nombreuses personnes étranges. J'ai croisé également maintes bizarreries, quelques monstruosités, des espèces que je pensais n'appartenir qu'aux récits et aux légendes. J'ai côtoyé aussi pas mal de races et d'ethnies, mais dans mes souvenirs, même les plus anciens, je ne pense pas avoir jamais croisé quelqu'un comme vous et vos semblables. Bon, j'ai bien passé une soirée gênante en compagnie de vampires qui avaient un physique relativement proche du votre mais je crois que la ressemblance s’arrête là... Aussi, il me semble le moment venu de vous dévoiler un peu à nous. D'autant que si j'ai bonne mémoire, notre cible est aussi un membre de votre famille si spéciale. Il serait bon que nous en sachions un peu plus vous... et sur vos éventuelles faiblesses."

Machinalement, elle reprit en main son shamisen et se remit à en caresser les cordes doucement.

[Melkerah]

Tout en écoutant Saké, Uri avait elle aussi attaqué le repas. Avec une gestuelle brutale peu coutumière chez elle, elle arracha purement et simplement une patte de l'épaule du sanglier et, sans plus de fioriture, le mangea à grosse bouchées. Quand il s'agissait de viande, sa partie lycan avait tendance à prendre le dessus de façon quasi incontrôlable.

-J'ai connu un Orc extrêmement cultivé et réfléchi, dit-elle pensivement. Il avait quitté son clan depuis longtemps je crois...

Elle haussa les épaules, ne se souvenant plus de ce qui avait mené cette connaissance là où elle l'avait rencontré.
Soudain, Saké aborda un sujet sensible : la nature d'Uri. Elle avait beau avoir initié elle-même le changement radical de mode de vie de son clan, rejeté les règles qui l'avait fait devenir une personne qu'elle avait détesté, il y avait des choses qui restaient ancrées profondément. Son visage perdit d'abord toute expression, puis se crispa, et enfin elle reprit le contrôle d'elle-même. L'intérêt de la jeune femme était légitime, et les Umbra n'avanceraient jamais si elle ne montrait pas un minimum l'exemple. Elle réfléchit à la meilleure manière d'expliquer les choses avant de parler.

-En fait, j'aurais été très surprise que vous ayez déjà rencontré un seul de mes semblables... Enfin, vous en avez peut-être croisé, mais...

Elle hésita et préféra changer d'angle.

-Je suis une Noctalienne, reprit-elle. Enfin, je n'ai en réalité plus grand-chose de semblable avec ce qui fait la nature même d'un Noctalien, mais de toute façon Romias non plus. Ni lui ni moi ne sommes à présent sujets à la véritable faiblesse de nos semblables, mais il se peut que, de façon indirecte, il en subisse encore l'influence... Bref, pour simplifier, nous sommes par nature discrets et effacés, nous passons le plus clair de notre vie là où on ne nous voit pas et, par-dessus tout, là où on nous ignore. Nous vivons dans l'idée que rester invisible et sans intérêt est ce qu'il y a de plus primordial, et le reste se fait en fonction de ce principe. Certains d'entre nous... possèdent des pouvoirs propres à notre race, mais Romias n'en fait pas partie, il n'y a donc rien à ajouter là-dessus. En revanche, il est bon à savoir que sa spécialité était de prévoir et de préparer nos "sorties", et qu'il a donc un certain sens stratégique quand il s'agit d'observer, anticiper les mouvements des gens, disparaître... ou tendre une embuscade.

Elle se tut un moment, le regard dans le vague, cherchant ce qu'elle devait ajouter ou taire.

-C'est pour cette raison précise que je vous ai engagés. Il connaît toutes nos stratégies et ne peut donc pas s'y laisser prendre. J'ai besoin que vous utilisiez vos propres méthodes, qu'il aura plus de mal à anticiper. En revanche, il a très rarement participé physiquement aux opérations, donc s'il doit posséder un point faible, il se peut qu'il se trouve là.

Là-dessus, elle retourna à son repas et l'attaqua avec un enthousiasme renouvelé. La musique de Saké la détendait presque malgré elle, et elle était un peu lasse de veiller sans cesse à rester dans son rôle, aussi elle se laissa aller contre le tronc d'arbre derrière elle et se contenta d'attendre les réactions éventuelle de Saké et Thurias sans chercher à les prévoir.

[Thurias de Narzyom]

"Dans le nord de Narzyom, les orcs sont vraisemblablement de bons guerriers, mais ils sont parfois plus passifs que certains humains. Pour ce qui est de ... L'intelligence. Et bien, je pense que beaucoup d'orc sont assez sages et bien plus intelligents que certains humains. Je dirais simplement que leur tempérament est... Mmmh, pour parler en images, volcanique !"

Thurias reprit son rire guttural quelques instant et termina sa part du sanglier avant de roter bruyamment.

"Les orcs sont plus inattendus que nous. Enfin, je vous dis nous, non, je ne suis pas orc en effet, mais je dois bien avoir quatre ou cinq ancêtres parmi eux."

Il se redressa et jeta un coup d’œil au ciel, observant les vols d'oiseaux, le soleil ainsi que les nuages. Il prit une bonne bouffée d'air et écarta les bras, écoutant l'air reposant du shamisen de Saké. Il semblait tout à coup de bonne humeur, mais il ne délia plus sa langue, laissant à nouveau reposer sa voix tonitruante. Thurias s'était posé sur un tronc d'arbre mort et observa tout autour de lui, lentement. Peut-être un instinct sauvage, commun à ce barbare pour le moins étrange. Il semblait faire office de sentinelle, visiblement, avec tous les sens en alerte. Il écoutait furtivement la discussion de ses deux compagnes de voyage, mais il ne quitta pas la surveillance pour autant. Uri finit par parler de la mission en elle même. Sur ce, le barbare reprit la parole :

"Et bien si je dois utiliser mes méthodes, nous devrions lever le camp et aller directement à ce fameux camp, que je puisse commencer le pistage. Et puis, peut-être aura t-il préparé un petit comité d'accueil pour nous faire patienter. Haha, un peu de loisir ne me fera pas de mal."

Le Barbare quitta sa position et reprit tout son paquetage et même quelques bouts du sanglier. Il enveloppa le tout dans un étrange tissu, sur lequel il versa sa gourde. Le tissu sembla gonfler et aucune goutte n'en découla. Sans même plus discuter, il attendit que les autres se mettent en route également. Il se mit à rire par bribes, excité comme un enfant par le fait de repartir à l'aventure, et, probablement au combat. Il pensa néanmoins, avant de repartir, qu'il devait se munir de quelque chose de neuf sur lui. Thurias chercha sur le sol une pierre particulière, presque argileuse. Une fois qu'il en eût une en main, il l'écrasa jusqu'à en faire une pâte poudreuse, puis il vint se l'étaler sur les bras en des signes d'apparence tribale. Il marmonna quelques mots narzyites en rythme, presque chantés. Une oreille aguerri pourrait y comprendre "Trône du sang, serviteur du carnage, réceptacle de la vie, donne moi ta puissance, que je puisse offrir la mort, car nul homme, ne peut défier un fils de Thtronm".

[Mortelune]

Saké écouta avec attention tour à tour Uri et Thurias. Elle fut extrêmement surprise d'entendre parler d'une ethnie dont jusqu'à lors elle ne savait rien. Les Noctaliens. Le nom lui même en lui évoquait rien, mais elle le trouvait absolument charmant, sorte de mélange de poésie et de mystères qui l'inspirait profondément. Mais si leur patronyme était original, leurs mœurs l'étaient tout autant, voir plus. Rester reclus, dans l'ombre, à l’écart, se faire discret, se faire oublier. Comme c'était singulier, étrange ! Tout ce à quoi Saké n'aspirait pas. Qu'est ce qui dans leur histoire, avait pu les pousser à instruire pareil dogme ? En proie à de nombreuses interrogations, la jeune comédienne se laissa aller à divaguer sur sa propre vie si elle était née Noctalienne... Ce qui rapidement la fit sourire et afficher un air mutin.

-"Sans vous offenser, Dame Uri, je pense que j'aurai fait une très mauvaise Noctalienne. Vos... croyances sont, comment dire, en totale opposition avec mon idéal de vie. Cela dit, on dit que les contraires s'attirent parfois. J'ai foi en la complémentarité des énergies opposées. Les forces de l'une peuvent compenser les faiblesses de l'autre et réciproquement" expliqua Saké, d'une voie mélodieuse qui s'accordait presque avec la mélodie de son instrument.


Elle tira une fois de plus sur sa pipe, qui pendait à un coin de ses lèvres et expulsa aussitôt un nouveau nuage de fumée par son petit nez fin. Elle rebondit ensuite sur les nouveaux éléments apportés au sujet de Romias.


-"Votre frère est un stratège donc. C'est effectivement une information utile à nos opérations, dans le sens ou il faudra donc probablement s'attendre à se faire embusquer sans que lui même ne soit présent, ou tout du moins, pas à proximité directe. Le but du jeu sera donc de parvenir à l'atteindre par tous les moyens, le débusquer, le pousser à l'erreur."

Attirée par le regard de Thurias qui fixait le ciel, Saké observa à son tour la voûte céleste et les quelques oiseaux dont les battements d'ailes coordonnés vrombissaient dans l'air. A écouter le narzyite, elle fut forcée de constater qu'elle partageait finalement quelques traits communs avec ses descendants Orcs, lorsque celui-ci parla de leurs caractères inattendus et imprévisibles.


Saké sursauta très légèrement ensuite lorsque le barbare se dressa sur ses jambes pour reconstituer son paquetage. Elle regrettait presque de devoir reprendre la route si rapidement alors que ce type d'échanges était l'une des choses elle affectionnait tout particulièrement lors des aventures en groupe. Résignée mais pas rebutée, elle vida la fin de sa pipe dans le brasier qui lui faisait face en la tapotta contre une pierre déjà noircie par le carbonne. Elle se redressa à son tour tout en lissant les pans de son ample tunique orientale, non sans faire choir au sol quelques morceaux de viande. Elle rangea avec soin son shamisen en prenant soin de glisser une étoffe soyeuse sous les cordes afin d’épargner leur frottement au bois de l'instrument. D'un geste du pied, elle projeta un peu de terre vers le feu de camp pour en étouffer la fumée et tenta de limiter les traces de leur passage, du moins, dans les grandes largeurs, se contentant d'éliminer les indices pouvant renseigner un éventuel pisteur sur leur nombre, leur caractéristique et leur provenance... le reste était relativement superflu et probablement inutile.


Elle positionna ensuite l'anse de son paquetage sur son épaule droite et la lame rengainée de son épée de maître sur la gauche tendis que sa main droite tenait son ombrelle rouge dépliée au dessus de son visage qui avait à présent retrouvé toute sa fraîcheur et son charme.


Elle ne put, avant de suivre les pas de Thurias, s’empêcher d'ironiser à l'attention d'Uri.


-"Si je puis vous rassurer sur un point Madame, c'est que les compétences de stratège et de prévision de votre frère ne lui seront absolument d'aucune utilité face à moi... N'ayant moi même aucune idée de ce que je ferais une fois devant lui... il lui sera très compliqué d'anticiper mes actions ! L'improvisation des artistes ! Il n'y a que cela de vrai..."

[Melkerah]

Uri eut un petit rictus d'ironie amère.

-Sans vouloir vous offenser, Dame Saké, si vous aviez été Noctalienne, vous ne seriez plus de ce monde depuis longtemps...

Elle acquiesça plus sérieusement au discours de la comédienne au sujet de la complémentarité, qui était la raison même de leur trio improbable, ainsi qu'au sujet de Romias.
A la suite de Thurias, les deux femmes refirent à leur tour leur paquetage. Par habitude, Uri n'avait pratiquement rien sorti, ou l'avait déjà rangé, ce fut donc rapide pour elle. Saké s'occupa de brouiller leurs traces sous le regard discrètement sceptique de la noctalienne, qui préféra cependant se taire. Elle n'était pas sûre de l'utilité de la chose, mais pas sûre non plus que ça soit totalement sans intérêt.
L'enthousiasme du guerrier aurait pu choquer Uri encore quelques mois plus tôt, mais à présent elle trouvait cela plutôt agréable : cela donnait de l'entrain. La voleuse ne cacha pas son intérêt devant le petit rituel orc mais ne posa pas de question.
Soudain, Saké fit une remarque qui laissa Uri partagée entre l'amusement et l'amertume.

-Je ne peux que vous faire confiance sur ce point... Mais je préfère vous prévenir : j'ai été... battue par le "créateur" de mon frère alors que je n'avais justement rien prévu et que je l'avais pris par surprise. J'ai fait beaucoup de chemin depuis, et Romias n'a pas la même expérience, mais je reste extrêmement méfiante.

Elle avait buté sur le mot "battue", malgré ses efforts pour le dire de façon neutre. Les yeux sombres de la noctalienne se perdirent un instant dans des réflexions fort peu agréables, mais elle se tut et prit la tête de la marche pour mener les deux autres au campement qui marquerait le début de la traque.


Thurias, Saké et Uri furent repérés aussitôt arrivés à moins d'une centaine de mètres du campement abandonné. De petits insectes, la version miniaturisée et furtive de celui que la noctalienne avait tué un peu plus tôt, étaient répartis en postes de guet un peu partout dans les environs. En quelques fractions de secondes, le maître des créatures chitineuses fut prévenu de l'arrivée du commando, et encore quelques fractions de secondes furent nécessaire pour ordonner aux congénères du gros insecte bleu de jouer les comités d'accueil...
Il leur fallu quelques minutes pour atteindre leurs cibles.

[Thurias de Narzyom]

Reparti sur un pas plutôt agile et effréné, Thurias grimpait sur les souches, les racines qui sortaient du sol ainsi que les pierre qui parsemaient le sol de la forêt. Tel un animal, il se mouvait entre les arbres sur un pas rapide et discret, seulement trahi par le bruit de son paquetage. Il ne marqua une pause que lorsqu'il sentit un vrombissement. Un vrombissement qu'il avait découvert un peu plus tôt. Ceci lui évoquait donc la possibilité qu'une créature se terre non loin de lui. Le barbare fût alors pris d'un éclair guerrier, jetant son paquetage à coté de lui et dégainant Farnodir, son épée à deux main, tranchante et résistante. Il tourna sur lui même lentement, en garde. Les yeux du barbare observaient les moindres recoins, mais il ne percevait rien. Inutile de prévenir les autres ! Thurias se sentait puissant ainsi recouvert de peintures de guerre narzyite. Il avait cru comprendre que Romias aurait des sbires insectoïde, rempli de poison, de toxine et d'autres germes, il en avait donc déduit qu'il ne pourrait pas se servir de leur sang pour faire ses peintures. Étonnamment, les peintures semblait lui donner l'impression que Zuhshtar, le Dieu de la Guerre était avec lui. Il avait cette impression à chaque fois qu'il se peignait le corps.

Juste derrière, Saké et Uri arrivèrent sur sa position. Tant pis, on fera son carnage personnel un peu plus tard. Il en profita donc pour demander à Uri :

"Alors ça y est ? Il nous envoie ses petits serviteurs ?"

Thurias se mit à nouveau à ricaner d'un air malsain. Il n'attendait plus qu'à réveiller la bête en lui. Il resta aux aguets, en attendant de voir quelque chose, agité mais contenu.

[Mortelune]

Saké ne goûta guère la remarque d'Uri. La comédienne se plaisait volontiers à taquiner les autres, mais lorsqu'elle devenait la cible de critiques et railleries, elle faisait preuve d'un humour moins conciliant. Elle n'avait pas apprécié le fait que son employeuse puisse suggérer qu'elle eut échouer la ou elle même avait réussit. Qu'en savait-elle au juste ? Vexée, l’orgueilleuse farfelue ne prêta qu'une oreille distraite à la suite du discours de son employeuse, qui donnait quelques informations complémentaires au sujet de Romias. La mâchoire serrée elle tenta de piquer là ou cela faisait mal.

-"Hé bien qu'est-ce qui peut vous faire croire cela ? Les vôtres exterminent-ils ceux qui s’écartent de vos coutumes ? Ceux qui font un peu trop de bruit ou prennent un peu trop la lumière ? Votre frère fait-il actuellement les frais d'une conduite inadéquate aux yeux de votre culture ? Certes, peut-être serais-je morte en effet. Probablement d'un suicide... car vivre ainsi... ce n'est pas vivre. Et puis vous m'expliquerez peut-être Dame Uri, quelle différence entre mourir et ne pas exister ?"

Elle regretta ses paroles presque aussitôt sorties de sa bouche, mais il était trop tard, trop tard pour s'excuser... et puis elle n'en éprouvait pas réellement le besoin. On ne rabaissait pas Saké ainsi, chef de guilde ou pas chef de guilde ... de plus Thurias avait repéré quelque chose à en juger par la posture de combat qu'il venait d'adopter devant elles.


L'artiste percevait à son tour les bruits caractéristiques des nuisibles de type coléoptères. D'un geste précis du pouce elle ôta la cordelette rouge qui maintenait le manche de son épée attachée à son fourreau. Elle positionna son arme le long de sa jambe. Elle pourrait donc à présent dégainer en une fraction de seconde. Elle laissa ensuite glisser son nécessaire de voyage le long de son épaule. Le sac chût au sol en faisant s'envoler quelques feuilles mortes silencieusement.


Son ombrelle rouge toujours dépliée au dessus de son visage, calme, impassible, magnifique. L’œil mi clos scrutant le moindre mouvement alentours, elle était fin prête à accueillir l'ennemi comme il se doit.

[Melkerah]

Uri se contenta de jeter un regard surpris à Saké quand celle-ci exprima son agacement sur le commentaire de la noctalienne. Mais ce n'était pas le moment d'expliquer ces choses-là, déjà parce que la comédienne n'avait pas encore "mérité" cette information, mais surtout parce qu'il semblait que Thurias avait repéré quelque chose. Dès que le bourdonnement parvint aux oreilles d'Uri, elle fut prête à réagir, paquetage au sol, muscles bandés et attentive au moindre bruit.

Le premier insecte arriva bientôt, seul tout d'abord, et fonça directement sur la noctalienne, seule à intéresser personnellement le maître. Quelques instants plus tard, une dizaine d'autres créatures bleues chargea, se répartissant entre les trois cibles. Ils attaquaient sans se soucier un seul instant de la mort certaine qui attendait la majorité d'entre eux, mandibules prêtes à saisir la moindre prise, et quelques-uns d'entre eux arboraient un dard pointé en avant à la recherche d'un bout de peau à piquer. Encore une trentaine de secondes, et ce fut un véritable escadron qui se joignit à la bataille, vrombissant et s'agitant dans tous les sens.

Ce fut par pur réflexe que la noctalienne fit apparaître sa brume de noirceur et la solidifia en bouclier. Sur le moment, elle n'eut même pas à y penser, mais dès qu'elle eut repris ses esprits, elle songea que ses dissimulations envers Thurias et Saké à ce sujet étaient bien vaines. Aussitôt cette pensée formulée, elle passa à la contrattaque et matérialisa une seconde couche de noirceur solide pour écraser ses assaillants entre les deux, puis la laissa s'évaporer pour évacuer les cadavres d'insectes.
Cela fait, elle vérifia qu'aucune autre créature ne la menaçait dans l'immédiat et regarda comment ses deux comparses s'en sortaient.

[Thurias de Narzyom]

Encerclé, Thurias se comporta alors comme une bête acculée, montrant les dents, calme, mais près à monter à l'attaque. Il ferma les yeux un instant, se concentrant sur le vrombissement de la nuées d'insectes. Il attendit d'entendre plus clairement le vrombissement, d'entendre le claquement des ailes sur les carapaces de chitine, et à cet instant, Thurias entama un immense moulinet d'épée, tournant sur lui même dans une vague d'acier horizontale. Après avoir constaté l'ampleur des dégâts de sa première attaque, il enchaîna encore et encore, effectuant des allers retour dans les angles les plus logiques, s'adaptant à la formation des insectes face à lui. Le barbare ne se sentit pas trop à l'aise face à de si petites créatures, qui sont de plus, rapides et visiblement, venimeuse. Il redoubla de vitesse dans ses coup d'épée et esquiva les piquées de certains insectes, dans des mouvements de corps bestiaux. La situation ne lui échappait pas, mais les insectes se faisaient rapides et le frôlaient de plus en plus. Il hurla dans un cri de guerre :

"Ishtram, soikan zar !"

Après ce hurlement colossal, Thurias s'abaissa en tournoyant sur lui même et souleva un grand coup d'épée vers les insectes, faisant voler une fois de plus le sang de ces abjectes créatures. Leur nombre avait décroît autour de Thurias et ceux qui restaient le guettaient de loin, virevoltant sans le quitter de leurs abjectes yeux impersonnels. Thurias, quelques peu essoufflé à s'acharner sur sa précision, changea son souffle quelque peu haletant pour un rire moqueur. Il se redressa, toujours en garde et hurla :

"Ça va d'votre côté ? Je m'attendait à un comité plus... Plus marrant à tuer."

Thurias fonça à nouveau sur ses adversaires, tournoyant afin de ne manquer aucun angle, mais toujours attentif à ce que répondront ses deux camarades de route.

[Mortelune]

De son côté Saké devait faire face à une attaque frontale plutôt conséquente puisqu'une grosse dizaine de créatures voletaient frénétiquement vers elle. Se battre en situation d'infériorité numérique ne lui avait jamais réellement posé de soucis, toute proportion gardée, mais en l'occurrence la spécificité de ses adversaires, petits, vifs et sournois, allait considérablement hausser la difficulté du combat.


Dans un premier temps, elle se contenta de prendre connaissance des aptitudes de l'ennemi. Ses mouvements, la façon dont ils coordonnent leurs déplacements, les éventuels indices quant à la stratégie mise en place. L'entreprise se révéla relativement compliquée tant l'assaut proposé lui semblait erratique et désorganisé.


Son épée toujours dans son fourreau, la comédienne se contentait pour le moment, de façon habile et élégante, d'esquiver les attaques des insectes oppresseurs. Un pas de côté en glissant, une ellipse acrobatique vers l'arrière suivie d'un mouvement de hanche pour feinter l'insecte qui la menaçait de son dard.... le tout était relativement maîtrisé mais se révélerait forcement périlleux si le combat devait s’éterniser.


Après un énième sifflement à ses oreilles caractérisant l'échec d'un assaut adverse, elle perçut enfin l'ouverture pour une offensive efficace. D'un geste sec de son bras gauche, de bas en haut, elle impulsa la libération de sa lame en projetant le fourreau de son épée sur un insecte situé dans la ligne de mire de celui-ci. Le nuisible fut littéralement réduit en bouillie par le poids du projectile qui finit sa course quelques mètres plus loin, au sol. Dans l'élan de son geste, Saké entama une rotation fluide de son bassin et déclencha une attaque circulaire de son arme qui vint faucher trois insectes patrouillant à ses côtés et qui espéraient trouver une faille dans ses défenses.


Elle se décala ensuite d'un pas de côté et bloqua de sa lame les mandibules d'un insecte qui tentait de s'en prendre à sa jugulaire. Visiblement sonné par le choc, le petit être vrombissant mit un moment avant de reprendre le fil du combat. Ce fut l'instant que choisit la comédienne pour saisir l'une des épingles de bois laqué qui maintenait en place son chignon et l'expédier sur l'ennemi, le transperçant de part en part.


Elle eut raison des derniers petits nuisibles qui composaient le groupe qui s’était dirigé vers elle au prix de quelques acrobaties, parfois plus belles que réellement nécessaires, ponctuées de coups d'estoc précis. Pas une égratignure, voila une affaire rondement menée.


Saké y voyait déjà plus clair, et son petit manège avait eut le mérite semblait-il, en plus de réduire le nombre d'opposants, d'intimer en eux une certaine méfiance ou tout du moins, un entrain moins manifeste à mener l'assaut.


Elle put alors prendre le temps d'observer l’état général du combat. Uri donnait encore une belle démonstration de son talent et l’étonnait de plus en plus. Sa magie si particulière était véritablement intéressante. Elle fut alors interpellée par la voix rauque de Thurias qui lui aussi se démenait comme un beau diable et qui prenait de leurs nouvelles.


Souriante et fière d'elle, Saké répondit à Thurias sur un ton enjoué, le souffle haletant, tout en gardant l’œil ouvert sur son environnement.

-"Occupez-vous donc de vos miches Messire de Narzyom, on dirait bien qu'il vous reste quelques chitineux à défaire ! Mais peut-être avez-vous besoin d'aid..." 

A cet instant, et alors qu'elle s’apprêtait à achever sa phrase, une large aiguille sombre et suintante transperça le cou de Saké, perçant sa nuque pour ressortir par sa gorge dans une gerbe de sang rouge et fournie. Le dard, long et courbe remonta presque jusqu'au menton de la jeune artiste tant son propriétaire l'avait enfoncé en elle jusqu'à la base de son propre abdomen.

Une fois le coup porté, l'insecte s'extirpa de sa proie, au prix de sa propre vie, s'arrachant la moitié du corps au passage. Une nouvelle traînée de sang jaillit de la gorge de Saké, ainsi que de sa bouche, en propageant un horrible bruit de gargouillis immondes. L’œil de la ravissante jeune femme ne trahissait aucun signe de surprise ni de douleur. Visiblement, et pour chaque témoin présent, l'assaut avait été si rapide qu'il avait prit par surprise la comédienne et lui avait été fatal sans délai. 

Inerte, elle s'effondra, d'abord sur les genoux, puis, de tout son long, s’écroulant dans les feuilles mortes, le visage contre sol...

[Melkerah]

Choquée, Uri resta figée en regardant Saké s'effondrer, la gorge transpercée. Était-ce donc une manie chez les homo-novus de s'attaquer à la gorge ? Soudain enragée par ce énième échec, Uri faillit laisser carte blanche à sa nature sauvage, mais se contrôla et se contenta d'exterminer les derniers assaillants à coups de fumée noire, avec l'aide de Thurias.
Cela fait, elle s'approcha du corps de la comédienne, constatant que rien ne pouvait rattraper une telle blessure. Elle songea à sa propre cicatrice à la gorge et soudain une idée lui vint : Saké avait fait une démonstration de ses capacités au Loup hurlant à la Lune, invoquant un clone plus vrai que nature... Était-il possible que la comédienne ait usé de cette magie sans que Thurias et elle s'en rendent compte ? Ils le sauraient bien assez tôt.

-Je commence à être d'accord avec toi Thurias, fit sombrement Uri, j'ai hâte de dénicher leurs maîtres à ces bestioles...

Discrètement, la noctalienne huma l'air à la recherche de la moindre information utile, que ce soit à propos de Saké ou de leurs ennemis. Aucune odeur suspecte, mais cela ne l'empêcha pas de rester sur ses gardes.

Personne ne vit le dernier insecte s'éclipser juste avant la mort des derniers de ses camarades, droit vers son maître. Il n'eut pas beaucoup de distance à parcourir pour retrouver celui-ci, qui fuit dès qu'il eut récupéré son petit informateur.

[Thurias de Narzyom]

Après avoir abattu sa dernière cible, toujours concentré sur ce que Saké dit, Thurias fût interpellé par un mauvais pressentiment lorsque cette dernière se tût sans raison logique. Il se retourna vers elle et fonça vers sa position. De son surplomb, le barbare récupéra son paquetage de manière habile et sauta jusqu'au niveau de Saké. Il se redressa lentement de son saut, ne quittant pas Saké des yeux, à la recherche d'un moindre signe de vie. Il s'approcha à grands pas lents, droit comme un I, l'air solennel. De son pied, il retourna le corps de la jeune femme et put constater la blessure qui lui balafrait la gorge. Il ne put s'empêcher de grimacer. Enlaidir une si jolie gorge, par tous les dieux, c'est contre-nature. Il s'abaissa, accroupi face à Saké, alors qu'Uri prit la parole. Il lui jeta un regard et sourit en coin, laissant échapper un rire timide et tourna à nouveau son visage vers Saké. Il ferma les paupières de Saké, jetant un léger regard à son œil invalide une dernière fois avant de prendre la parole sur un ton respectueux :

"Adieux, Keira Itsusémi, aussi connue sous le nom de Saké. Ther shroov thilsurm udtherm oga gohanm."

Il souleva le corps et leva les yeux vers le ciel, demeurant silencieux et immobile pendant quelques instants. Ainsi fait, il tourna la tête vers Uri :

"Veux-tu lui accorder ses funérailles guerrières ? A moins que tu ne sois trop pressée d'en finir avec Romias."

Il tint toujours le corps inerte de Saké dans ses bras. Le corps paraissait minuscule dans les bras du barbare : une poupée de chiffon dans les mains d'un géant. Thurias avait l'air quelque peu déconcerté, ou du moins, plus sérieux qu'à l’accoutumée. Il semblait vouloir rendre hommage à la mort de sa toute nouvelle compagne de route, qui, à son avis, se défendait bien, mais avait manqué de prudence. Pourquoi ? Cela lui échappait totalement, quelque chose lui semblait un peu... faux dans toute cette histoire.

[Mortelune]

Le combat était à présent terminé. Le petit groupe s’était fort bien défendu contre un ennemi ennuyeux et menaçant. Le calme était retombé et une légère brise vint faire bruisser les feuilles des arbres qui entouraient Uri et Thurias. Au loin, une corneille croassait donnant à la situation une atmosphère plus morne encore. Dans le ciel gris de gros nuages noirs se déplaçaient à une allure modérée et menaçaient de faire tomber la pluie sous peu.

Le silence était relativement oppressant, surtout après une telle agitation. Les deux compagnons, muets, semblaient un peu déboussolés par l'issue déconcertante de l'affrontement. Ils n'en revenaient visiblement pas. Tous deux fixaient la dépouille de Saké, gisant dans les bras du robuste barbare. Mais quelque chose semblait les gêner. Un détail semblait clocher, sans pour autant qu'ils ne puissent réellement mettre le doigt dessus. Pourtant leur instinct ne les avaient pas trompé.

Sans qu'ils ne soient en mesure d'en déterminer l'origine, une sorte de vague floue enveloppa soudain le corps inerte de la comédienne, ressemblant étrangement aux manifestations de mirages que l'on peut observer dans les régions désertiques. Lorsque Thurias et Uri contemplèrent cet étrange phénomène, il constatèrent bizarrement, que... ce que Thurias tenait dans ses bras ressemblait de moins en moins à un cadavre mais plus à... une sorte de mannequin. Une poupée à taille humaine grossièrement rapiécée, recouverte de lin et fourrée de paille pour lui donner de la consistance. A l'emplacement de son œil, un gros bouton de couturier avait été cousu. Son nez quant à lui, était représenté par deux boutons de manchette sous un morceau laine écrue. Sa bouche n'était rien d'autre qu'un vulgaire fil de laine rouge tandis que ses cheveux s'avéraient n'être que quelques morceaux de tissu bruns. Ses vêtements n’étaient similaires à ceux de l'artiste que par leur couleur. Autour du cou du mannequin était attaché un fil de pêcheur très fin, au bout duquel était épinglé un petit rouleau de parchemin déplié et sur lequel étaient dessinées des calligraphies indéchiffrables pour les deux observateurs, probablement en langage du Pays du Thé.

Alors que la noctalienne et le barbare détaillaient l'objet de la supercherie, celui-ci se volatilisa dans un bruit étouffé, laissant pour seule preuve de son passage un épais nuage de fumée, et l'étiquette calligraphiée qui tomba au sol.

Au même moment, une voie s'extirpa des branches d'un arbre situé à quelques pas de là.

-"Mes funérailles pourront attendre un peu Messire Thurias !! Et puis vous n'avez même pas apporté de couronne de fleurs. Et le respect des morts que Diable, vous en faites quoi ?!"

A la fin de cette phrase réapparut Saké, sauta de son arbre vers le sol. Elle marchait alors, souriante et l’œil farceur, d'un pas déterminé vers ses deux compagnons qu'elle saluait d'un geste de la main. Dans le même temps, surgissant de sous un tas de feuilles, Zabuza rejoint à son tour la jeune excentrique.

-"Veuillez m'excuser pour la mise en scène. Je ne pouvais guère vous prévenir dans la mesure ou vous auriez pu, sans le vouloir, nuire à l’effet de surprise. Avec un peu de chance, Romias, me croira morte... du moins jusqu'à notre prochaine rencontre. J'imaginais que cela puisse éventuellement constituer un avantage.... Enfin bref, ce vu un beau combat, vraiment, vous vous êtes bien battus ! Mais assez parlé, qu'avons nous là ? Des blessures ? Tout va bien ?" demanda-t-elle, l'air de rien, en se dandinant pour observer l'intégrité physique d'Uri et Thurias.

[Melkerah]

Sur le coup, Uri dut se retenir de frapper Saké. Elle était furieuse d'avoir cru un instant à la mort de sa compagne, et plus encore de ce que cela lui avait fait ressentir. Il fallut donc de gros efforts pour ne pas parler trop sèchement.

-Je suis navrée de vous le dire, Saké, mais je n'aurais pas participé à vos funérailles, ce n'est pas dans ma culture.

Elle soupira, essayant d'évacuer la tension.


-C'était bien joué, reprit-elle plus calmement, en plus Romias doit être ravi de la façon dont il croit vous avoir tué. Son triomphe idiot pourra nous servir...

A la question de la jeune femme sur leur état physique, la noctalienne s'examina et constata qu'elle était parfaitement indemne, quoique ses nerfs risquent de mettre un moment à se remettre. Tant mieux. Elle s'accroupit au sol le temps de récupérer un peu de self-control.

-Je suggère qu'on aille au campement et qu'on s'y arrête un moment, le temps de trouver ce qu'on cherche et de se reposer. Il vaut mieux prendre le temps de récupérer après un combat.

Frottant distraitement sa cicatrice à la gorge, Uri se repassait les images du combat. Tous trois n'avaient pas eu les mêmes facilités dans cet affrontement, le plus désavantagé étant en l'occurrence Thurias, qui n'était pas fait pour ce genre d'adversaires.

-Thurias, reprit-elle, je crois que ces saletés ne sont pas tes adversaires idéaux. Ne le prends pas comme une insulte. Simplement, il vaudra peut-être mieux à l'avenir que Saké et moi nous en occupions, et que tu gardes tes ressources pour les plus gros morceaux. Leurs modèles poids lourd m'ont posé problème par le passé, mais je pense que tu es parfaitement taillé pour les mettre en pièce. Tel que je le connais, Romias n'hésitera pas à nous distraire avec ces bestioles et à nous attaquer par derrière avec les gros. Si au moins un de nous reste attentif, ça ne sera pas un problème.

Se sentant déjà mieux en raisonnant de façon pragmatique, Uri se redressa et s'avança vers le campement tout proche. Après quelques mètres, elle s'arrêta et se tourna vers Saké.

-Excusez-moi pour ma remarque de tout à l'heure. C'était déplacé.

Et elle repartit. La réalité était que ces excuses lui épargneraient l'explication pénible sur ladite remarque et détendrait sans doute aussi efficacement ses rapports avec la comédienne.

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