Bienvenue en Enfer
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Bienvenue en Enfer
Cela faisait maintenant près de trois jours que le convoi avait quitté l’Océan de Sable. Ils avaient laissé derrière eux les passeurs du bac qui leur avaient fait traverser l’étrange onde sablonneuse et ses remous particuliers pour rejoindre une terre plus ferme et plus stable. La carriole de tête avançait à bon allure, rythmée par le grincement incessant et entêtant de la roue avant-droite.
Un vent chaud et sec fouettait la terre craquelée. Quelques rares animaux, rapidement chassés, se joignaient parfois au défilé, dans l’espoir non dissimulé de glaner quelques denrées à grignoter. Le ciel était parfaitement dégagé, pas un nuage à l’horizon, si bien que l’on pouvait percevoir dans l’azur deux aigles majestueux, évoluant comme en un balai parfaitement synchrone…
-« … ou peut-être des vautours… oui, si l’on y regarde bien ce serait plutôt des vautours… »
Voici sept jours qu’il avait rejoint le cortège. Sept jours à subir les assauts inlassables de ce vent qui rend fou. Sept jours à se protéger vainement du sable qui s’immisce partout et tout le temps. Sept jours sans rien avaler d’autre que ce que laissaient les gardiens du cortège comme déchets et os à ronger. Sept jours à se partager une ration d’eau quotidienne avec les cinq autres individus qui se trouvaient dans sa cage à roulette.
Les mains de l’homme serraient fermement les barreaux rouillés de sa prison à ciel ouvert tandis que ses yeux fixaient d’un air envieux les deux volatiles qui fendaient le ciel de leurs ailes épanouies. L’espace d’un moment, il laissa son esprit s’échapper et rejoindre la voûte céleste, s’imaginer hors de cette cage qui empestait la sueur et le sang, dominant le monde et le funeste convoi dont il faisait partie.
Le claquement sec du fouet d’un homme à cheval le rappela brutalement sur terre à la triste réalité. Puis vint la douleur. Aigüe. Intolérable. Machinalement le prisonnier porta sa main sur la plaie qui venait de se former sur son avant-bras et qui saignait à présent abondamment. Après des jours de voyages éreintants, il n’avait plus la force de hurler sa douleur. A peine avait-il celle de souffrir.
Résigné il fit volte-face et s’adossa aux barreaux. Il déchira une partie de la tenue en toile de jute, contre laquelle ses vêtements avaient été remplacés peu après sa capture, pour s’en confectionner un bandage de fortune. Avec un peu de chance, la crasse accumulée sur ces guenilles ne provoquerait pas d’infection. De toutes les façons que pouvait-il espérer à présent ? A quoi bon rêver ? Ou qu’ils l’emmènent, il finirait aux mains de ses tortionnaires. Il se surprit à souhaiter que sa blessure s’infecte alors, priant le Soleil qu’elle ne lui permette d’abréger cet interminable périple vers sa propre mort.
Ces sept jours avaient paru des lunes à ses yeux. Il était pourtant le dernier à avoir rejoint l’enclos mobile. Il plaignait volontiers ceux qui étaient là depuis le début du voyage. Cinq personnes partageaient son calvaire.
Le premier d’entre eux était Asarien comme lui et commerçant itinérant. Le destin avait voulu qu’au détour d’un voyage fort lointain, il ne s’adresse aux mauvaises personnes pour écouler son stock d’ivoires d’olifants. Devant le prix annoncé, ses interlocuteurs s’étaient rapidement transformés en pillards qui eurent tôt fait de mettre main basse sur ses marchandises … et sa liberté. A son instar, son masque de prière lui avait également été confisqué, comme toute autre possession. Ces objets de cultes trouvaient de la valeur aux yeux de certains collectionneurs et conservatoires. Les bandits espéraient tirer de ces deux spécimens un bon prix, tant ils paraissaient finement ouvragés, décorés avec gout et ornés de métaux et pierreries précieuses le tout dans le respect d’une certaine sobriété.
Les occasions de parler aux autres détenus étaient fort rares, tant les gardes qui les observaient jour et nuit leur imposaient le respect du silence le plus absolu.
Le deuxième plus ancien prisonnier aurait pu en attester plus que quiconque si l’un des gardes ne lui avait pas arraché la langue lorsque celui-ci avait osé réclamer de l’eau.
-« On ne s’adresse pas aux gardiens, chien… et toi tu ne t’adresseras plus jamais à personne » lui avait-on répliqué avant de faire glisser une lame crantée jusque dans le fond de sa gorge.
De ce fait, il ne savait que peu de chose de lui. Son faciès aurait pu laisser présager qu’il vint d’une contrée du nord ou côtière. Ses cheveux bien qu’extrêmement sales, étaient blonds et ses yeux gris. Pour le reste, le pauvre semblait en proie à des fantômes que lui seul était capable de voir. Le manque d’eau couplée aux morsures des rayons du soleil pouvaient parfois s’avérer être dévastateurs pour les organismes les moins habitués aux conditions désertiques.
Peut-être valait-il mieux être fou que conscient de ces horreurs pensa-t-il… Son regard s’attarda alors sur le jeune couple qui lui faisait face. De jeunes mariés du Pays du Thé, pour lesquels le voyage de noce s’était rapidement transformé en cauchemar. Un transfert de nuit entre deux cités exotiques, un itinéraire touristique factice pour amoureux en mal de romantisme, un guide corrompu, une embuscade, un coup de pilum dans le thorax et le tour était joué.
Voilà trois jours que l’état du jeune homme empirait. Sa blessure était vraisemblablement profondément infectée et la fièvre commençait à prendre le dessus. Le vent et le sable avait rendu inutile toutes les tentatives de sa femme pour garder la plaie à l’abris et propre. La pauvre semblait anéantie par la situation et ne s’alimentait quasiment plus.
-« Cela ne fait plus aucun doute… ce sont des vautours … »
Le couple de rapaces suivait le convoi depuis maintenant plusieurs heures. Ce manège était tout à fait caractéristique de ces charognards. Le convoi devait sentir la mort à des lieues à la ronde, nulle doute qu’ils s’imaginaient festoyer prochainement de la dépouille de l’un ou l’autre des détenus.
L’homme au fouet vint rompre la monotonie du trajet en jetant entre les barreaux une vieille outre d’eau, déjà chaude et un bol contenant une mélasse poisseuse peu ragoutante rapidement envahie par toutes sortes de mouches ignobles.
La vision peu reluisante et pitoyable qu’offrait le petit groupe à ce geôlier sournois semblait le ravir. Il ne put contenir un sourire sadique et satisfait face au traitement qu’il leur infligeait. Le soleil commençait à décliner doucement dans le ciel et ce dernier se paraît de ses atours sang et pourpres. Avec la nuit viendrait le froid et comme à chaque fois, ils se partageraient à six l’unique peau de buffle pour s’en préserver. Elle sentait le moisi et la pisse de chien… mais cela avait le mérite de se prémunir des engelures.
Avant de s’endormir, il observa une fois encore le dernier membre de groupe maudit. Une femme. Celle qui l’avait précédée dans la cage. Probablement noble, peut-être une ecclésiaste tant elle se perdait dans la contemplation et la prière. Prostrée dans un coin de la prison, elle ne s’en dégageait que lors des rares pauses que les convoyeurs accordaient aux prisonniers pour faire leurs besoins…
Elle n'avait pas prononcé le moindre mot depuis qu'il avait été jeté ici, sauf pour réciter de saints couplets. Il lui semblait connaître ses prières. Il avait eu l’occasion de croiser une prêtresse qui autrefois récitait les mêmes lors d’une visite officielle dans sa ville… A cette époque il officiait lui-même, au temple et avait été relativement émerveillé par sa ferveur.
Ses souvenirs, ces petites brides de vie passée… tout cela lui semblait si lointain, si flou à présent. Tout cela avait-il d’ailleurs jamais eut lieu ? N’avait-il donc pas passé toute sa vie entre ces barreaux rouillés, à observer ces vautours ?
Non… cela ne se pouvait.
Il était ailleurs autrefois.
Il n’était là que depuis peu.
Ses paupières se fermèrent alors que le guide de la caravane commençait à percevoir au loin des lumières distinctes.
Il n’était là que depuis combien… ?
Quelques jours à peine.
Les lumières se rapprochaient. Les contours d’une ville gigantesque se profilaient à l’horizon.
Sept jours.
Voilà sept jours qu’il avait rejoint le convoi.
Les immenses portes de métal de la cité s’ouvrirent sans bruit. Un groupe d’individus à cheval en surgit au grand galop et rejoint rapidement la tête du cortège qui n’était plus qu’à quelques lieues de la ville.
Non pas sept. Huit.
Un des cavaliers héla le conducteur de la carriole de tête.
-« Te voilais enfin vermine putride. Le Maître s’impatiente ! J’espère que tu auras une explication à lui fournir ! »
-« J’ai quelques belles prises à lui proposer » répondit calmement l’homme encapuchonné.
Cela faisait huit jours à présent…
L’Asarien se réveilla brusquement lorsque le contenu d’un seau d’eau fraîche se déversa sur lui et ses compagnons d’infortune.
-« Si mes Seigneurs veulent bien se donner la peine de se réveiller, leur carrosse arrive bientôt à destination » leur adressa ironiquement l’un des gardes qui les toisait.
L’esprit encore embrumé, ses yeux à demi clos firent le point sur le paysage qui s’offrait à présent à lui. Fini le désert, l’aridité, les herbes brûlées et les arbres morts. Tout cela avait à présent cédé place à l’architecture raffinée d’une cité imposante.
La pierre et le marbre semblaient les matériaux de prédilection ici. Tous les bâtiments affichaient des dimensions titanesques, et des façades d’un blanc immaculé qui contrastait fortement avec la couleur ocre du sol. Statues et fontaines monumentales, larges esplanades, temples à larges colonnes, voies pavées par endroit, jardins fleuris et colorés emplis de fleurs parfumées et d’arbres exotiques, tout ici cherchait à attirer l’œil et signalait la richesse.
La ville était très animée, des centaines de personnes, déambulaient dans les artères étroites du quartier traversé par leur cortège. De nombreux étals de marchandises forts bien achalandés bordaient la voie, les commerçants vantant les mérites de leurs produits en vociférant, à grand renfort de slogans. Les badauds et les chalands conversaient, troquaient, marchandaient, se disputaient parfois aussi. Quelques mendiants et infirmes quémandaient l’aumône et la charité aux passants.
En aucun cas l’étrange défilé auquel prenait part l’Asarien ne semblait impressionner ou étonner qui que ce soit dans cette cité. Quelques regards se tournaient-ils vers eux, tout au plus. Les autres prisonniers semblaient aussi perdus que lui. Ou pouvaient-ils bien avoir été conduits ? Cette ville pouvait se trouver n’importe où.
Il nota une chose cependant. Aucune ambassade, ni étendards étrangers. Pas plus d’arrêtés ou de mandats officiels en provenance de certaines autorités de Clantor. Cela avait de quoi surprendre tant il était habituel de retrouver ces éléments dans toutes les grandes cités du monde connu. Tout laissait penser alors qu’ils se trouvaient dans une sorte de ville franche, autonome et étrangère à toute emprise ou influence.
Dans ces ruelles, le soleil semblait presque absent du fait de la présence de larges étoffes de tissu de lin blanches ou écrues, tendues entre les bâtiments et suspendues à environ vingt mètres du sol. Sensé probablement protéger à la fois de la chaleur et de la pluie, ce dispositif rendait l’atmosphère pesante et suffocante. Pire encore accentuait-il le bruit des conversations, cris et autres interpellations générant une véritable cacophonie assourdissante.
A la tête du cortège, les individus qui avaient accueillis leur convoi à la tombée la nuit dégageaient la voie de manière assez brusque et sans faire de détail, provocant l’indignation au mieux, la colère au pire, sans pour autant qu’il n’en résulte de débordements majeurs. Les citoyens semblaient savoir à qui ils avaient à faire et de ce fait, ravalaient vite leur rancœur pour retourner à leurs activités initiales.
A mesure qu’ils se rapprochaient du centre de la cité, la luminosité augmentait progressivement. Les plafonds de tissus disparurent au profit d’étendards bicolores rouges et noirs présents en abondance sur les murs et façades, les ruelles étriquées et bondées devinrent larges boulevards dégagés et rectilignes. La population changeait également. Notables, politiciens, dames en toilettes accompagnées de leurs servantes… tous respiraient l’opulence. Par ailleurs, de nombreux militaires en armes patrouillaient dans cette zone.
Non loin de là, par-delà les toitures des résidences luxueuses qui lui faisant face, le prisonnier vit se dessiner les traits du bâtiment le plus démesuré et étrange qu’il lui ait été donné d’observer. Haut de plus de cent mètres et environ six fois plus large, ce mastodonte de granit et de marbre dominait toute la ville et imposait le respect. Il semblait de forme circulaire et doté de plusieurs étages distincts sur lesquels se dessinaient des arcades très larges et d’épaisses colonnes constituées de blocs de roche finement ciselés.
Le rendu global de l’édifice était à couper le souffle. Plus impressionnant encore, le vent chaud du nord portait par moment la clameur et la liesse d’une foule qui semblait provenir de l’immense bâtisse.
-« Par tous les Dieux, qu’est-ce, cette folie ? Quelle est cette ville » balbutia la jeune mariée, qui pour une fois n’avait plus les yeux rivés sur la blessure de son époux. Personne ne se risqua à produire la moindre réponse à cette question, car aucun n'en avait la moindre idée.
Leur groupe s’éloigna progressivement de ce lieu et emprunta pendant près d’une demie heure une pente descendante, traversant les faubourgs pauvres de la cité pour en rejoindre finalement les limites. A cet endroit, plus rien de noble ni de raffiné. Les habitations, ou plutôt les abris étaient fait de bric et de broc, planches, plaques métalliques, glaise séchée, de véritables patchworks de matériaux assemblés tant bien que mal n’ayant d’autre vertu que celle d’offrir un toit au-dessus de la tête de ses propriétaires.
Ici, plus question de rues pavées, mais des chemins irréguliers et inconfortables de terre, boueuse par endroit. Les riches échoppes avaient fait place aux tavernes délabrées, maisons de passes, repères de brigands et coupe-jarrets divers et variés. Tout était sale et crasseux, si bien que toute la misère que pouvait rassembler la cité semblait avoir été parquée dans ce district mal famé.
Des ivrognes gisaient à même le sol devant un troquet miteux. A l’étage de ce bâtiment, une mégère difforme vidait par la fenêtre une bassine pleine d’une eau noirâtre écœurante.
Alors qu’elle s’enfonçait toujours plus dans cet environnement malsain, le convoi reçut l’ordre de s’arrêter lorsqu’il se trouva devant un large bâtiment de bois, positionné à flanc d’une haute colline dominant la partie sud de la ville.
L’immobilisme soudain de la cage, qui n’avait cessé de rouler des heures durant, perturba un moment l’équilibre de ses infortunés locataires. A peine leur moyen de locomotion à l’arrêt, que l’esclavagiste au fouet fit tourner la clé dans la serrure de la prison. Un grincement métallique précéda l’ouverture de la porte.
L’ignoble cerbère au visage marqué par les méfaits de la vérole leur aboya l’ordre de mettre pieds à terre. Les deux Asariens s’exécutèrent sans trop de difficulté, suivis par le nordique muet. Le jeune oriental eut plus de mal à s’extraire de la cage, tant sa blessure lui infligeait une souffrance indicible et ce, malgré tout le soutien que pouvait lui prodiguer sa femme. L’entreprise était périlleuse, et affaiblis à l’extrême par le trajet harassant qu’ils venaient de subir, un pas mal assuré précipita leur descente et les fit tous les deux s’effondrer lourdement dans la boue, provoquant l’hilarité des convoyeurs qui les observaient avec attention.
Ne restait plus que la prêtresse. Toujours recluse dans un des coins de la cage, elle s’était mise à trembler de peur dès que le convoi s’était arrêté. La crainte de ce qui l’attendait à présent la tétanisait complètement, la rendant incapable d’effectuer le moindre mouvement.
Face à cette insubordination, volontaire ou non, le vérolé bondit tel un félin, dans la prison roulante, saisit fermement la pauvre femme par ses long cheveux bruns et la traina violemment au sol alors qu’elle se débattait comme une enfant impuissante.
Alors que les six compagnons étaient à présent regroupés à terre, leurs mains et leurs pieds furent ferrés de lourdes chaines noires par leurs tortionnaires. On les attacha ensuite les uns aux autres, deux par deux à l’aide d’une longue chaîne ferrée à leur cou.
Après cet épisode qui ne fut pas sans rappeler le cérémonial d’un condamné, l’esclavagiste Encapuchonné, s’adressa alors à eux d’une voix sifflante et éraillée.
-« Aujourd’hui est un jour spécial pour nous tous, car c’est le jour que les Dieux ont choisis pour me rendre riche » annonça-t-il en frottant ses mains fripées qui se terminaient par de long doigts crochus et des ongles noircis qui n’étaient pas sans rappeler les griffes d’un animal sauvage.
-« Et c’est vous qui allez m’y aider, mes petits amis… en vous montrant sous votre meilleur jour à…la personne… qui nous attend dans ce bâtiment ! Allons, souriez !! Et surtout, réjouissez-vous car vous allez prendre part, d’une façon ou d’une autre au Grand Carnaval d’El Hazeem et à ses festivités ! » Il ne put finir sa phrase sans partir dans un fou rire trahissant une certaine folie.
Le Vérolé fit alors claquer son fouet dans l’air, tout en inclinant la tête pour indiquer la direction à suivre.
Le robuste Asarien avança le premier accompagné du Muet, auquel il avait été attaché par la force des choses et des fers…Suivaient de près le marchand et le jeune du Thé, séparée de son épouse qui suivait derrière couplé à la prêtresse terrorisée.
Alors qu'elle passait à proximité de l’Encapuchonné, celui–ci saisit l’avant-bras de la jeune femme de sa main squelettique. Il la força à se rapprocher de lui, jusqu’à ce quelle sente son souffle putride, puis ses lèvres sèches parcourir sa joue. Des yeux clos de la femme commencèrent à perler des larmes. La langue immonde et grasse du vieillard se délecta alors de l’une de ces gouttes de terreur et glissa le long de son visage, jusqu’à son oreille dans laquelle il murmura :
-« Toi je t’aurais bien gardée pour moi… devenir ton initiateur m’aurait procuré… j’en suis sûr, bien des plaisirs. Et toi, il ne fait nul doute que tu en aurais redemandé. »
Violée psychologiquement et profondément traumatisée par ces mots, elle éclata alors en sanglots. Brusquement, l’Encapuchonné l’écarta du bras qui la maintenait soumise et la fit chuter à terre violemment avant de s’adresser une nouvelle fois aux détenus :
-« Rappelez-vous !!! Sous votre meilleur jour !! Un geste, un faux pas, un mot non sollicité… et je vous égorge… »
D’un geste sec et nerveux, il fit signe à l’un de ses sbires de faire avancer les détenus. La porte s’ouvrit grand devant eux. Une musique forte, ainsi que des rires gras parvinrent alors jusqu’à leurs oreilles, ainsi qu’une forte odeur d’herbes à fumer et d’effluves de bière.
Lorsqu’ils foulèrent le seuil du bâtiment, leurs yeux ne purent s’adapter à la pénombre ambiante. Ils n’y verraient vraisemblablement plus grand-chose pendant de longs instants.
Une voix essoufflée et inquiétante, presque animale, s’éleva dans l’obscurité et fit taire dans l’instant la totalité des autres bruits ambiants…
-« Voilà que… nos invités...daignent enfin nous rejoindre ».
L’Asarien, malgré sa cécité temporaire senti sans s’y tromper de nombreux regards l’oppresser. Un profond malaise l’envahit alors. La voix de l’interlocuteur mystérieux minait son moral à chaque mot prononcé…
-« Allons, soyons éduqués… et souhaitons leur… la bienvenue. »
Après une courte pause qui leur sembla bien durer une éternité ou deux il reprit.
-« Bienvenue en Enfer. »
Tout autour de la pièce des rires s’élevèrent et les commentaires désobligeants sur l’aspect et la dégaine des prisonniers fusèrent de part et d’autre, ponctué par des rires et des insultes.
Peu à peu, les yeux des détenus s’habituaient à l’obscurité. Bientôt, l’Asarien eut une parfaite vision de la scène qui se jouait face à lui.
Ils se trouvaient dans ce qui ressemblait à une vaste salle de taverne uniquement éclairée par la seule lumière qui peinait à traverser les vitres encrassées des fenêtres et de quelques bougies posées sur des tables disposées en cercle tout autour de la pièce. A chacune d’entre elles, étaient installés des clients, patibulaires pour la plupart d’entre eux, qui s’enivraient de bière et autres boissons fortement alcoolisées proposées par des serveuses presque nues, tandis que d’autres jouaient à des jeux d’argent.
Au milieu de la pièce enfumée par les émanations de pipes, se trouvaient deux femmes disposées au centre d’une longue et robuste corde disposée en cercle quasi parfait. Tandis que la première passait énergiquement la serpillère sur flaque de sang poisseuse, la seconde semblait récolter ce qui ressemblait, de loin à des lambeaux de chair avant de les mettre dans un seau.
Un orchestre sinistre, qui s’était remis à jouer doucement depuis leur arrivée, était installé tout près du comptoir. Les musiciens semblaient tous comme surgis d’outre-tombe tant leurs mines étaient pâles et leur yeux hagards. Ils jouaient mollement sur des instruments qui ne pouvaient être rien d’autre que l’assemblage d’objets de récupérations et autres détritus trouvés à la décharge la plus proche.
Mais le plus inquiétant était à venir. Au nord de la pièce et sur presque toute sa longueur, était dressée une estrade sur laquelle se trouvaient des danseuses qui se s’agitaient de façon lascive autour de trois individus mystérieux regroupés au centre de l’édifice. Le premier siégeait sur un imposant trône, macabre enchevêtrement de membres et de visages humanoïdes liés entre eux par du métal fondu. Le tout donnait véritablement envie de rendre et offrit au prisonnier l’une des choses les plus horribles qu’il lui ait jamais été donné de voir.
Sur cet improbable siège était installé un homme si obèse et gras qu’on se demandait s’il était encore capable de se mouvoir lui-même sur ses propres jambes, grosses comme des jambons. Son visage était affublé d’un double menton qui descendait presque jusqu’au milieu de son ventre énorme. Ses mains étaient petites et ses doigts boudinés. Chacun d’entre eux étaient ornés d’une ou plusieurs bagues de fine facture serties de précieux joyaux. Cette « chose » difforme était habillée d’une ample tunique de velours rouge vif, rehaussée d’un liseré jaune éclatant. Son visage était certainement la partie de son corps –visible- la plus répugnante. Il affichait un teint blafard, sa bouche laissait parfois apparaître des dents noircies et gâtées. Régulièrement sa langue violette, qui ressemblait à s’y méprendre à une grosse limace baveuse, humectait d’un mouvement ses lèvres écarlates, qui contrastait avec son teint maladif. Enfin au-dessus de son nez porcin, deux larges cavités oculaires dans l’une desquelles avait été greffée un rubis rouge sang gros comme un œuf qui brillait dès que la lumière se reflétait sur l’une de ses facettes. Son unique œil valide fixait les nouveaux venus avec un air entendu.
Il tenait dans sa main droite un cuissot de sanglier qu’il portait à sa bouche pour en déchirer à chaque fois de larges morceaux bien gras et juteux, dont une majorité venait s’échouer sur sa tunique écarlate souillée…
A sa droite, était installé un individu revêtu d’une armure de plaque complète noire comme la nuit. Il portait un casque qui lui recouvrait intégralement le visage. Depuis que les prisonniers avaient retrouvé la vision, ce dernier n’avait pas émis le moindre son, ni bougé d’un iota. Immobile. Les deux fines fentes horizontales dont était doté son casque noir étaient toutefois dirigées vers le groupe. Ses deux mains, jointes reposaient sur le pommeau de sa large épée, fichée dans le sol entre ses deux pieds. Même assis de la sorte, on imaginait qu’en se redressant totalement, il devait rendre facilement deux têtes à l’humain moyen.
Enfin, à la gauche de l’Obèse, un siège, vide en apparence, mais sur le dossier duquel se tenait équilibre ce qui ressemblait à un bouffon. Accoutré d’habits de carnaval aux couleurs criardes, usé et rapiécé par endroits, il se balançait sur son siège tel un oiseau sur son perchoir. Tantôt sur un pied, puis sur deux, il n’éprouvait visiblement aucune espèce de difficulté à se mouvoir ainsi, faisait ainsi tinter les grelots cousus à même son chapeau ridicule et son costume bouffant. Sa taille était ceinte d’une épaisse lanière de cuir brun, de laquelle pendaient deux lames courtes à nue de fort belle facture, et parfaitement équilibrée.
Si l’Obèse inspirait le dégoût, et le Monstre en armure la peur, ce dernier à n’en point douter le malaise, tant son visage pouvait troubler quiconque l’observait. L’intégralité de celui-ci était recouverte d’une épaisse couche de poudre blanche, en son centre, deux yeux de dément, dont les paupières ne battaient à aucun moment, fixes et troublants, sous lesquels étaient dessinés deux traits noirs, semblables à des larmes sombres coulant le long de ses joues. Enfin, sa bouche aux lèvres peinturlurées de rouge affichait deux rangés de dents taillées en pointes…
L’Asarien, en ce moment précis, bien qu’ayant toute sa vie fait preuve d’un certain courage, aurait, s’il l’avait pu, prit volontiers ses jambes à sa cou. Il en venait même à regretter de ne plus être à l’abri des barreaux de sa cage.
Jamais dans ses cauchemars les plus fous, n’aurait-il pu imaginer un tel tableau d’horreur. Qui étaient ces gens qui semblaient tout droit sortis d’on ne sait quel Enfer ?
Alors que les questions affluaient à son esprit sans qu’il ne puisse pour autant y apporter de réponse, l’Encapuchonné vit quelques pas vers le centre du tripot en saluant l’estrade d’un mouvement de la main droite, détourna de ce fait, tous les regards de l’assemblée vers lui.
Sa voix sifflante caractéristique se fit entendre.
-« Mes respects profonds, Mestre Hector. Ainsi que convenu, je vous apporte en ce jour la marchandise en nombre souhaité. Quatre males et deux femelles, comme le précisaient les conditions de notre accord, ainsi que l’intégralité de leurs possessions que mes hommes vous feront porter à l’endroit de votre convenance. »
De l’estrade ne vint aucune réponse, ni réaction.
L’Encapuchonné poursuit alors, avec un peu d’hésitation.
-« Ces personnes sont donc vôtres à présent. Il vous revient maintenant de vous acquitter du… paiement prévu. »
Visiblement peu à l’aise, le marchand d’esclaves sembla soulagé lorsqu’Hector prit la parole, non sans avoir au préalable déglutit bruyamment après une grosse rasade de vin épicé. D’un revers de manche il essuya le vin qui dégoulinait sur son goitre et claqua ses doigts potelés en direction du bouffon tout en déclarant de sa voix essoufflée.
-« Acquitte-nous Jester… Acquitte nous bien… ».
La scène qui suivit aurait été impossible à observer pour des yeux non exercés. Heureusement, l’Asarien avait écumé de nombreux champs de bataille et, s’il n’était pas légionnaire de profession, avait toutefois quelques prédispositions et des réflexes supérieurs à la moyenne.
Dès qu’Hector eut finit sa phrase, le bouffon encore perché sur son siège, sembla comme disparaître brusquement dans la fumée qui stagnait dans la salle … L’instant d’après, un sifflement fendit l’air et comme venue de nulle part, l’une de ses deux lames vint se ficher dans la cuisse droite du renaissant encapuchonné, sectionnant au passage son artère fémorale.
Une voix aigrelette et stridente résonna dans la pièce, sans que l’on puisse déterminer vraiment sa provenance.
-« Voici la pénalité retard… »
La victime n’eut le temps que de mettre le genou à terre, rien de plus, pas même il ne put hurler sa douleur, que Jester se matérialisa dans son dos, passa une main dans ses cheveux et bascula sa tête en arrière, juste ce qu’il faut pour que son autre lame puisse esquisser une funeste caresse sur sa carotide.
Le corps sans vie de l’homme s’effondra sur le sol en émettant de légers gargouillis…
Le bouffon, qui était déjà à nouveau installé sur son siège, à l’envers, la tête vers le bas ajouta :
« Et voilà ton solde… tu peux garder la monnaie. »
Un flot de sang se rependit sur le sol poussiéreux. A peine le cadavre encore chaud de l’esclavagiste s’étala-t-il de tout son long, que les deux jeunes femmes qui s’affairaient déjà plus tôt à nettoyer le plancher étaient une nouvelle fois sollicitée pour évacuer la dépouille inerte.
Au même moment, la porte de l’auberge s’ouvrit, laissant pénétrer un individu qui portait dans sa main droite une hache ensanglantée et dans la gauche ce qui ressemblait à… une tête. Il se contenta de lever celle-ci en direction de l’estrade et d’ajouter à son geste :
-« Le convoi est à nous, Mestre », ce à quoi Hector répondit par un sourire approbateur.
La scène était une fois de plus difficilement soutenable, sauf pour les clients, qui semblaient globalement satisfaits du spectacle proposé par leurs hôtes. La jeune prêtresse, en l’occurrence, eut bien du mal à se contenir, tant son cœur et son estomac se révulsèrent à la vue de ce qu’il venait de se produire sous ses yeux.
Ses larmes n’avaient cessé de couler depuis qu’elle avait franchi le seuil de cet établissement. C’était plus que ce qu’elle ne pouvait objectivement supporter. Elle s’écroula brusquement, sur ses genoux, tremblant de tout son être et inconsolable. La jeune mariée, à laquelle elle avait été enchainée, s’empressa de se porter auprès d’elle, comme pour rendre son épreuve plus supportable, sans pour autant être certaine que son réconfort suffise à la calmer. Elle-même avait déjà grand mal à ne pas céder au fatalisme.
-« Pauvres petites natures, frêles et fragiles… Les voici qui s’effondre à la première goutte de sang versée... » Reprit Hector, de sa voix essoufflée. Il poursuivit alors.
-« Alors que vous devriez bénir les Dieux de vous avoir mené jusqu’à Hector !!! Hector est bon, Hector est grand ! Hector vous invite gracieusement à assister aux Jeux du Carnaval voyez-vous ! »
Il désigna les femmes d’un geste plein de dédain et de dégoût.
-« Vous, les pucelles, servirez à la taverne. Hector attend des invités en nombre pour l’occasion. Et Hector croit que vos charmes et vos cuisses lui permettront de faire de beaux profits !... Oh mais ne pleurez pas !! Cela ramolli le client… et cela nous ne le souhaitons pas ? Si ? Qu’en sais-je moi au juste ?!»
L’ignoble obèse partit alors en un rire obscène qui trouva rapidement échos dans la salle.
-« Hector n’a jamais été vraiment… très au fait de ces choses-là… les femmes me dégoutent bien plus qu’elles ne m’attirent. » Il se mit à rire de plus belle avant de porter à sa bouche une grappe de raisins entière.
-« Hector laisse à Marla le soin de vérifier qu’il n’a pas été trompé sur … sa marchandise…. Elle saura mesurer votre aptitude à… faire enfler la bourse d’Hector! » Il claqua des doigts.
Les deux jeunes femmes, enchaînées et terrifiées furent bientôt emmenées dans une salle attenante par un homme armé, accompagné par une vieille mégère décrépie, aussi avenante qu’un chien enragé auquel on aurait arraché la queue…
-« Je vous laisse à ses doigts experts » L’assemblée s’esclaffa une nouvelle fois, passablement excitée par la détresse des pauvres prisonnière et du traitement dont elles allaient très vite faire l’objet. Deux ou trois tournées de bière furent commandées l’instant qui suivit, et l’orchestre se mit à jouer un air plus entraînant.
Hector reprit alors le cours de son petit monologue. Devant lui ne restaient plus que les quatre prisonniers. Le robuste Asarien et son compatriote marchand, enchaînés respectivement au Muet et à l’Oriental qui dansait depuis plusieurs heures avec la Mort.
-« Voilà, m’est d’avis, qui est bien plus intéressant ! Regardez-les ! N’ont-ils pas l’air tout comme il faut ? » L’unique œil d’Hector inspectait avec une profonde minutie chacun des quatre protagonistes qui se dressait face à lui, tout en passant langoureusement sa langue sur ses lèvres boursouflées et se frottant les mains, manifestations évidentes d’un plaisir des plus ostentatoire.
Il s’adressa alors aux prisonniers d’une voix basse, chuchotant presque…
-« Il faut qu’Hector vous explique ce qu’il attend de vous. Hector a obtenu du Grand Consul qu’il puisse présenter quatre combattants lors du Charnier qui marquera l’ouverture des Jeux… A ce jour, Il est sûr d’y convier Jester, à qui vous venez d’être présentés, ainsi que Misère, ci-présent, à côté D’Hector » dit-il en désignant la masse de ferraille immobile siégeant à sa droite.
-« Les deux places restantes seront offertes aux deux meilleures recrues de l’Ecole d’Hector ». Une lumière inquiétante se reflétait sur les facettes polies de la pierre figée dans la cavité oculaire du Mestre.
-« Et c’est là que vous intervenez. Hector a constaté… une défection dans ses rangs. Une petite rixe entre écoliers, survenue il y a quelques jours s’est soldée… comment dire… par le départ de l’un de nos postulants… les pieds devants… et sa tête… dans un paquet. Les places sont chères et la concurrence va bon train…. C’est bon pour les affaires, pense Hector. »
Il marqua une pause. Saisit une chopine sur l’accoudoir de son trône et évalua son poids, constata qu’elle était vide avant de la jeter violement au visage d’une serveuse qui passait non loin. Agacé il prit une bouteille de vin vieux qui patientait à portée, en avala de grandes rasades, puis essuya sa bouche d’un revers de manche.
Entre temps, deux sbires avaient porté jusqu’en bordure du cercle de corde qui matérialisait le milieu de la salle, un large coffre de bois et de fer, desquels ils tirèrent une épée émoussée, un bouclier de piètre facture et une hache courte à moitié rouillée. Ils jetèrent négligemment le tout au milieu du cercle, aux pieds des quatre prisonniers.
-« A présent, cette place… est à prendre… Hector vous l’offre… Enfin, Il l’offre à l’un d’entre vous… Celui qui en manifestera le plus, l’envie. Celui qui, aux yeux d’Hector, la méritera le plus… » Ajouta-t-il, dans un état d’excitation qui flirtait dangereusement avec l’hystérie.
Figés sur place, comme si la foudre venait de les frapper simultanément, les esclaves prenaient conscience de la situation et commencèrent à se jeter des regards emplis d’incompréhension, de méfiance et de peur. Machinalement, leurs yeux se portaient aussi sur les armes qui jonchaient le sol, mais aussi, sur les fers qui les reliaient à leur binôme.
Ayant partiellement repris son souffle, Hector finit par ajouter :
-« Vous avez dix minutes pour vous départager. Hector n’a jamais été vraiment amateur de grandes proses et de longs discours. Aussi, les armes à vos pieds vous aideront-elles à vous faire remarquer. Si au-delà du temps imparti, il ne devait rester plus d’un postulant debout, Misère se verrait dans l’obligation de constater la nullité de l’épreuve… A sa façon. »
L’obèse et machiavélique personnage leva alors une main en l’air. La foule se tut dans l’instant, la tension ambiante était à son paroxysme, tandis que depuis l’emplacement de l’orchestre, provenait le son d’un roulement de tambour. Interdits, les quatre prisonniers observaient, depuis le cercle de combat, le Mestre qui prenait un malin plaisir à se jouer de leur vie.
D’un geste brusque, sa main se rabaissa.
-« A présent, la mort pour les faibles !!! »
La phase d’observation ne dura pas éternellement. Alors que le nordique aux cheveux blonds comme les blés se ruait déjà au sol pour s’emparer de la hache laissée à sa portée, il déséquilibrait dans le même temps l’Asarien auquel il était enchaîné par le bras, le faisant lourdement tomber au sol.
Au même moment, le Marchand, pris d’une peur panique, mit la main sur le bouclier et tentait tant bien que mal de se mettre en retrait, dans les limites que le cercle de corde lui imposait.
Cette surface de combat bien que singulière, était suffisamment large pour permettre à quatre lutteurs d’y évoluer sans se gêner. Néanmoins, les chaines qui reliaient chacun d’entre eux à son binôme entravaient grandement leurs déplacements. De plus, nulle fuite possible, encerclés qu’ils étaient par les clients de la taverne et sous l’œil vigilant des personnes positionnées sur l’estrade.
Assis sur son trône de cadavres amoncelés, Hector observait, tel un enfant auquel on aurait offert une visite au cirque, ses prisonniers se débattre à ses pieds.
Dans la salle, les convives commençaient à gronder, s’exciter. Les serveuses avaient fort à faire pour honorer et servir toutes les commandes passées. A certaines tables, les paris s’engageaient et le tintement des espèces trébuchantes se faisait entendre.
Resté au sol depuis le début du combat, le jeune du Thé, handicapé par sa lourde blessure, ne semblait représenter aucun danger tant il luttait déjà pour ne pas perdre connaissance. Les yeux pleins d’incompréhension et de peur, il fixait ceux de l’Asarien qui l’avait rejoint ici-bas, après qu’il eut chuté. Tant bien que mal, ce dernier se redressa, maudissant un genou et une épaule endoloris.
Il n’eut que quelques instants pour anticiper et éviter de peu le tranchant d’une hache dont le souffle flirta dangereusement avec son cou. Visiblement le Nordique avait pris ses résolutions. La vie de ses compagnons de route ne valait apparemment pas de mettre en danger la sienne. Du moins, c’est le sentiment qu’il donnait.
Déjà revenait-il à la charge du prisonnier à la peau mate, désarmé. Ce dernier, qui en ce jour bénissait les formations obligatoires au combat imposées à chaque habitant de ses contrée l’année de sa majorité. Il revoyait devant lui l’image du haut Légionnaire Hamry, le toiser de toute sa hauteur, le masque sombre et sévère et lui répéter inlassablement les mêmes mots.
-« Vigilant, soyez vigilant. Vous êtes un combattant correct, mais vous manquez d’observation… »
En ce moment même, le principal danger était face à lui ; un muet armé d’une hache qui défendrait chèrement sa peau.
Une nouvelle fois, le puissant coup d’estoc fut évité non en avoir habillement esquivé l’attaque. Emporté dans son élan, le guerrier aux cheveux de paille vint alors heurter de plein fouet le marchand, toujours recroquevillé derrière son bouclier abîmé.
Fébrile et n’ayant pas pensé à stabiliser ses appuis au sol, il fut littéralement projeté dans les airs. Le choc frontal fut si rude que le tranchant de son bouclier lui emporta l’épaule gauche, brisant au passage sa clavicule dans un craquement d’os qui n’était pas sans rappeler celui d’une branche sèche.
Il hurla, tel un dément, un cri qui déchira le brouhaha ambiant qui régnait dans le tripot. Finalement il acheva son vol plané sur l’une des tables les plus proches des combattants et ne put retenir un flot de sang qui s’échappa de sa gorge, résultante du choc.
Alors la voix stridente de Jester annonça tel un aliéné :
-« Hors limite !! Il est hors limite !!!! C’est une faute !! Une faute, il faut le punir !!! Punissons-le !!!»
Telle une sanction venant s’abattre sur le fautif, une nouvelle fois, un couteau de lancer du Bouffon, finement ouvragé, fendit l’air pour se ficher net dans la carotide du malheureux, gisant sur la table de bois.
Les deux autres protagonistes actuellement en opposition n’eurent guère le temps d’observer la scène de mise à mort qui venait juste de se dérouler à quelque pas de là. Dans cette lutte qui s’était engagée depuis maintenant plusieurs minutes, aucun des deux combattants ne semblait avoir pris le dessus sur l’autre.
Ils s’affrontaient pourtant à armes inégales puisque l’Asarien, persuadé que tous refuseraient le combat, ne s’était précipité sur aucune des armes laissées à leur disposition et devait donc se défendre à mains nues.
Une nouvelle fois, il anticipa l’assaut de son opposant. Le nordique semblait habité d’une force colossale, certes, mais ses mouvements étaient lents, prévisibles, empruntés et ne présentaient pour le moment aucune réelle menace pour l’habitant d'Asarie.
Il parvint même à saisir le bras de son adversaire alors qu’il tentait de lui ravager le flanc dans un large mouvement de revers.
Alors, les instructions dispensées il y a longtemps par Hamry se rappelèrent à ses instincts, sa main gauche saisit fermement l’avant-bras de l’assaillant, son bras droit se glissa habilement sous son aisselle et bloqua l’articulation de l’épaule, puis mécaniquement il exerça une pression horizontale.
Tout muet qu’il était le nordique émit un râle étouffé d’agonie semblable à celui d’une bête que l'on abat. Sa main, au bout de son bras brisé par la prise, lâcha son arme qui tomba au sol. Il s’effondra à son tour au sol, agenouillé, tel un pénitent expiant ses péchés attendant la sentence ultime qui ne tarderait pas à venir.
Vigilant… Le mot résonnait inlassablement dans l’esprit concentré du combattant bronzé alors qu’il ramassait à son tour la hache au sol.
Vigilant… Toujours. Il s’approcha alors de son adversaire, devenu proie facile, qui accroupit, lui tournait le dos.
Vigilant… il l’était, et vit donc venir l’ultime tentative, mélange d’instinct de survie et d’acte désespéré, visant à le balayer d’un mouvement circulaire de sa jambe droite.
Esquive… Lever sa jambe. Eviter l’assaut. Une dernière fois. Rabattre violemment son pied sur la cheville. La briser. En morceau. Apprécier sa supériorité. Constater sa victoire. Punir.
Abattre la lame d’un geste en diagonale. Emporter la jugulaire. Relâcher la pression exercée par son pied. Constater l’écoulement du sang.
C’en était fini.
L’adrénaline ne finissait pas d’affluer et de brouiller sa perception des choses. Son cœur emballé, battait la chamade dans sa cage thoracique. Jamais ne s’était-il comporté ainsi, en véritable machine à tuer… Lui homme de foi et d’Etat, il avait aujourd’hui, pour sa survie emprunté une fois qu’autrefois il aurait condamné.
Une ultime fois l’image d’Hamry se matérialisa face à lui.
-« Vigilant, soyez vigilant. Vous êtes un combattant correct, mais vous manquez d’observation… »
Il se demanda alors à l’instant pourquoi son instructeur insistait avec cette vieille rengaine, alors qu’en l’occurrence des éloges auraient été bien plus à propos.
Mais alors qu’il s’apprêtait à jeter son arme au sol et reprendre son souffle, il ressentit une violente piqûre milieu du dos.
Une éraflure probablement. Quelques onguents, un peu de repos et il n’y paraîtrait plus rien.
La douleur se fit toutefois plus intense et enflamma son être tout entier. Ses jambes le lâchèrent soudain alors qu’il portait machinalement ses mains vers une excroissance qui entravait son abdomen.
La salle était subitement comme silencieuse. Incroyablement sombre aussi.
Son regard, embrumé, ne semblait plus distinguer que des formes éthérées et des silhouettes grossièrement détourées qui s’agitaient devant lui.
Il baissa la tête et constata qu’une épée traversait son corps de part en part, enfoncée jusqu’à la garde dans son dos.
-« Vigilant, soyez vigilant. Vous êtes un combattant correct, mais vous manquez d’observation… le combat ne se résume pas à son commencement et à sa fin… Un vrai guerrier ne cesse jamais d’avoir ses sens en éveil. Il en va de sa survie. »
Répéta une nouvelle fois Hamry avant de s’effacer définitivement.
Mais bien sûr, pensa-t-il… Il avait omis une partie des préceptes édictés par son mentor. Et probablement la partie essentielle.
Il se souvint alors. Trois armes au départ. Son esprit fut alors frappé de plein fouet par quelques images qu'il se remémorait à présent.
Il n’avait pas vu l’Oriental profiter du manque d’attention dont il faisait l’objet pour dissimuler l’épée sous son corps affalé au sol. Tout ce qu’il avait vu, c’était un mourant.
Il n’avait pas plus observé que sa blessure avait depuis deux jours, été traitée avec succès par les herbes récoltées au gré des haltes du convoi par sa femme. Tout ce qu’il avait vu, c’était une femme pudique, s’éloignant pour faire sa toilette.
Il n’avait pas non plus, reconnu le symbole présent sur le poignet de cette femme, qui en vérité était le tatouage caractéristique dont les femmes du Pays du Thé étaient marqués à la fin de leurs études de médecine, signalant ainsi leur condition aux yeux de tous et de ce fait les obligeant à porter assistance à qui leur en fait la demande. Tout ce qu’il avait vu ici, c’était une coquetterie féminine.
Il avait été dupé par le parfait jeu d’acteur de son époux qui feignait depuis, un état d’agonie irréversible, dans l’espoir secret que les marchands d’esclaves ne les relâchent, elle et lui, en raison de la baisse de leur valeur marchande. Ce qui n’arriva jamais. Tout ce que L’Asarien y avait vu, c’était un cadavre en devenir.
A présent, il ne le voyait pas plus, triomphant dans son dos, les bras levés vers le ciel.
Un filet de sang aqueux s’écoulait le long de sa bouche depuis la commissure de ses lèvres. De grosses gouttes de sueur perlaient depuis ses cheveux en bataille sur sa peau dorée. Encore à genoux, ses dernières forces s’estompèrent progressivement. Ses yeux gris aciers se fermèrent alors.
C’est ainsi que le corps de l’Asarien bascula violemment en avant, jusqu'à s'écraser sur le sol, soulevant un nuage de poussières dense.
C’est ainsi que dans un dernier moment de lucidité il se remémora le chemin qui l’avait conduit jusqu’ici. Puis dans un dernier souffle, la vie s’échappa de son corps inerte.
Un vent chaud et sec fouettait la terre craquelée. Quelques rares animaux, rapidement chassés, se joignaient parfois au défilé, dans l’espoir non dissimulé de glaner quelques denrées à grignoter. Le ciel était parfaitement dégagé, pas un nuage à l’horizon, si bien que l’on pouvait percevoir dans l’azur deux aigles majestueux, évoluant comme en un balai parfaitement synchrone…
-« … ou peut-être des vautours… oui, si l’on y regarde bien ce serait plutôt des vautours… »
Voici sept jours qu’il avait rejoint le cortège. Sept jours à subir les assauts inlassables de ce vent qui rend fou. Sept jours à se protéger vainement du sable qui s’immisce partout et tout le temps. Sept jours sans rien avaler d’autre que ce que laissaient les gardiens du cortège comme déchets et os à ronger. Sept jours à se partager une ration d’eau quotidienne avec les cinq autres individus qui se trouvaient dans sa cage à roulette.
Les mains de l’homme serraient fermement les barreaux rouillés de sa prison à ciel ouvert tandis que ses yeux fixaient d’un air envieux les deux volatiles qui fendaient le ciel de leurs ailes épanouies. L’espace d’un moment, il laissa son esprit s’échapper et rejoindre la voûte céleste, s’imaginer hors de cette cage qui empestait la sueur et le sang, dominant le monde et le funeste convoi dont il faisait partie.
Le claquement sec du fouet d’un homme à cheval le rappela brutalement sur terre à la triste réalité. Puis vint la douleur. Aigüe. Intolérable. Machinalement le prisonnier porta sa main sur la plaie qui venait de se former sur son avant-bras et qui saignait à présent abondamment. Après des jours de voyages éreintants, il n’avait plus la force de hurler sa douleur. A peine avait-il celle de souffrir.
Résigné il fit volte-face et s’adossa aux barreaux. Il déchira une partie de la tenue en toile de jute, contre laquelle ses vêtements avaient été remplacés peu après sa capture, pour s’en confectionner un bandage de fortune. Avec un peu de chance, la crasse accumulée sur ces guenilles ne provoquerait pas d’infection. De toutes les façons que pouvait-il espérer à présent ? A quoi bon rêver ? Ou qu’ils l’emmènent, il finirait aux mains de ses tortionnaires. Il se surprit à souhaiter que sa blessure s’infecte alors, priant le Soleil qu’elle ne lui permette d’abréger cet interminable périple vers sa propre mort.
Ces sept jours avaient paru des lunes à ses yeux. Il était pourtant le dernier à avoir rejoint l’enclos mobile. Il plaignait volontiers ceux qui étaient là depuis le début du voyage. Cinq personnes partageaient son calvaire.
Le premier d’entre eux était Asarien comme lui et commerçant itinérant. Le destin avait voulu qu’au détour d’un voyage fort lointain, il ne s’adresse aux mauvaises personnes pour écouler son stock d’ivoires d’olifants. Devant le prix annoncé, ses interlocuteurs s’étaient rapidement transformés en pillards qui eurent tôt fait de mettre main basse sur ses marchandises … et sa liberté. A son instar, son masque de prière lui avait également été confisqué, comme toute autre possession. Ces objets de cultes trouvaient de la valeur aux yeux de certains collectionneurs et conservatoires. Les bandits espéraient tirer de ces deux spécimens un bon prix, tant ils paraissaient finement ouvragés, décorés avec gout et ornés de métaux et pierreries précieuses le tout dans le respect d’une certaine sobriété.
Les occasions de parler aux autres détenus étaient fort rares, tant les gardes qui les observaient jour et nuit leur imposaient le respect du silence le plus absolu.
Le deuxième plus ancien prisonnier aurait pu en attester plus que quiconque si l’un des gardes ne lui avait pas arraché la langue lorsque celui-ci avait osé réclamer de l’eau.
-« On ne s’adresse pas aux gardiens, chien… et toi tu ne t’adresseras plus jamais à personne » lui avait-on répliqué avant de faire glisser une lame crantée jusque dans le fond de sa gorge.
De ce fait, il ne savait que peu de chose de lui. Son faciès aurait pu laisser présager qu’il vint d’une contrée du nord ou côtière. Ses cheveux bien qu’extrêmement sales, étaient blonds et ses yeux gris. Pour le reste, le pauvre semblait en proie à des fantômes que lui seul était capable de voir. Le manque d’eau couplée aux morsures des rayons du soleil pouvaient parfois s’avérer être dévastateurs pour les organismes les moins habitués aux conditions désertiques.
Peut-être valait-il mieux être fou que conscient de ces horreurs pensa-t-il… Son regard s’attarda alors sur le jeune couple qui lui faisait face. De jeunes mariés du Pays du Thé, pour lesquels le voyage de noce s’était rapidement transformé en cauchemar. Un transfert de nuit entre deux cités exotiques, un itinéraire touristique factice pour amoureux en mal de romantisme, un guide corrompu, une embuscade, un coup de pilum dans le thorax et le tour était joué.
Voilà trois jours que l’état du jeune homme empirait. Sa blessure était vraisemblablement profondément infectée et la fièvre commençait à prendre le dessus. Le vent et le sable avait rendu inutile toutes les tentatives de sa femme pour garder la plaie à l’abris et propre. La pauvre semblait anéantie par la situation et ne s’alimentait quasiment plus.
-« Cela ne fait plus aucun doute… ce sont des vautours … »
Le couple de rapaces suivait le convoi depuis maintenant plusieurs heures. Ce manège était tout à fait caractéristique de ces charognards. Le convoi devait sentir la mort à des lieues à la ronde, nulle doute qu’ils s’imaginaient festoyer prochainement de la dépouille de l’un ou l’autre des détenus.
L’homme au fouet vint rompre la monotonie du trajet en jetant entre les barreaux une vieille outre d’eau, déjà chaude et un bol contenant une mélasse poisseuse peu ragoutante rapidement envahie par toutes sortes de mouches ignobles.
La vision peu reluisante et pitoyable qu’offrait le petit groupe à ce geôlier sournois semblait le ravir. Il ne put contenir un sourire sadique et satisfait face au traitement qu’il leur infligeait. Le soleil commençait à décliner doucement dans le ciel et ce dernier se paraît de ses atours sang et pourpres. Avec la nuit viendrait le froid et comme à chaque fois, ils se partageraient à six l’unique peau de buffle pour s’en préserver. Elle sentait le moisi et la pisse de chien… mais cela avait le mérite de se prémunir des engelures.
Avant de s’endormir, il observa une fois encore le dernier membre de groupe maudit. Une femme. Celle qui l’avait précédée dans la cage. Probablement noble, peut-être une ecclésiaste tant elle se perdait dans la contemplation et la prière. Prostrée dans un coin de la prison, elle ne s’en dégageait que lors des rares pauses que les convoyeurs accordaient aux prisonniers pour faire leurs besoins…
Elle n'avait pas prononcé le moindre mot depuis qu'il avait été jeté ici, sauf pour réciter de saints couplets. Il lui semblait connaître ses prières. Il avait eu l’occasion de croiser une prêtresse qui autrefois récitait les mêmes lors d’une visite officielle dans sa ville… A cette époque il officiait lui-même, au temple et avait été relativement émerveillé par sa ferveur.
Ses souvenirs, ces petites brides de vie passée… tout cela lui semblait si lointain, si flou à présent. Tout cela avait-il d’ailleurs jamais eut lieu ? N’avait-il donc pas passé toute sa vie entre ces barreaux rouillés, à observer ces vautours ?
Non… cela ne se pouvait.
Il était ailleurs autrefois.
Il n’était là que depuis peu.
Ses paupières se fermèrent alors que le guide de la caravane commençait à percevoir au loin des lumières distinctes.
Il n’était là que depuis combien… ?
Quelques jours à peine.
Les lumières se rapprochaient. Les contours d’une ville gigantesque se profilaient à l’horizon.
Sept jours.
Voilà sept jours qu’il avait rejoint le convoi.
Les immenses portes de métal de la cité s’ouvrirent sans bruit. Un groupe d’individus à cheval en surgit au grand galop et rejoint rapidement la tête du cortège qui n’était plus qu’à quelques lieues de la ville.
Non pas sept. Huit.
Un des cavaliers héla le conducteur de la carriole de tête.
-« Te voilais enfin vermine putride. Le Maître s’impatiente ! J’espère que tu auras une explication à lui fournir ! »
-« J’ai quelques belles prises à lui proposer » répondit calmement l’homme encapuchonné.
Cela faisait huit jours à présent…
*****
L’Asarien se réveilla brusquement lorsque le contenu d’un seau d’eau fraîche se déversa sur lui et ses compagnons d’infortune.
-« Si mes Seigneurs veulent bien se donner la peine de se réveiller, leur carrosse arrive bientôt à destination » leur adressa ironiquement l’un des gardes qui les toisait.
L’esprit encore embrumé, ses yeux à demi clos firent le point sur le paysage qui s’offrait à présent à lui. Fini le désert, l’aridité, les herbes brûlées et les arbres morts. Tout cela avait à présent cédé place à l’architecture raffinée d’une cité imposante.
La pierre et le marbre semblaient les matériaux de prédilection ici. Tous les bâtiments affichaient des dimensions titanesques, et des façades d’un blanc immaculé qui contrastait fortement avec la couleur ocre du sol. Statues et fontaines monumentales, larges esplanades, temples à larges colonnes, voies pavées par endroit, jardins fleuris et colorés emplis de fleurs parfumées et d’arbres exotiques, tout ici cherchait à attirer l’œil et signalait la richesse.
La ville était très animée, des centaines de personnes, déambulaient dans les artères étroites du quartier traversé par leur cortège. De nombreux étals de marchandises forts bien achalandés bordaient la voie, les commerçants vantant les mérites de leurs produits en vociférant, à grand renfort de slogans. Les badauds et les chalands conversaient, troquaient, marchandaient, se disputaient parfois aussi. Quelques mendiants et infirmes quémandaient l’aumône et la charité aux passants.
En aucun cas l’étrange défilé auquel prenait part l’Asarien ne semblait impressionner ou étonner qui que ce soit dans cette cité. Quelques regards se tournaient-ils vers eux, tout au plus. Les autres prisonniers semblaient aussi perdus que lui. Ou pouvaient-ils bien avoir été conduits ? Cette ville pouvait se trouver n’importe où.
Il nota une chose cependant. Aucune ambassade, ni étendards étrangers. Pas plus d’arrêtés ou de mandats officiels en provenance de certaines autorités de Clantor. Cela avait de quoi surprendre tant il était habituel de retrouver ces éléments dans toutes les grandes cités du monde connu. Tout laissait penser alors qu’ils se trouvaient dans une sorte de ville franche, autonome et étrangère à toute emprise ou influence.
Dans ces ruelles, le soleil semblait presque absent du fait de la présence de larges étoffes de tissu de lin blanches ou écrues, tendues entre les bâtiments et suspendues à environ vingt mètres du sol. Sensé probablement protéger à la fois de la chaleur et de la pluie, ce dispositif rendait l’atmosphère pesante et suffocante. Pire encore accentuait-il le bruit des conversations, cris et autres interpellations générant une véritable cacophonie assourdissante.
A la tête du cortège, les individus qui avaient accueillis leur convoi à la tombée la nuit dégageaient la voie de manière assez brusque et sans faire de détail, provocant l’indignation au mieux, la colère au pire, sans pour autant qu’il n’en résulte de débordements majeurs. Les citoyens semblaient savoir à qui ils avaient à faire et de ce fait, ravalaient vite leur rancœur pour retourner à leurs activités initiales.
A mesure qu’ils se rapprochaient du centre de la cité, la luminosité augmentait progressivement. Les plafonds de tissus disparurent au profit d’étendards bicolores rouges et noirs présents en abondance sur les murs et façades, les ruelles étriquées et bondées devinrent larges boulevards dégagés et rectilignes. La population changeait également. Notables, politiciens, dames en toilettes accompagnées de leurs servantes… tous respiraient l’opulence. Par ailleurs, de nombreux militaires en armes patrouillaient dans cette zone.
Non loin de là, par-delà les toitures des résidences luxueuses qui lui faisant face, le prisonnier vit se dessiner les traits du bâtiment le plus démesuré et étrange qu’il lui ait été donné d’observer. Haut de plus de cent mètres et environ six fois plus large, ce mastodonte de granit et de marbre dominait toute la ville et imposait le respect. Il semblait de forme circulaire et doté de plusieurs étages distincts sur lesquels se dessinaient des arcades très larges et d’épaisses colonnes constituées de blocs de roche finement ciselés.
Le rendu global de l’édifice était à couper le souffle. Plus impressionnant encore, le vent chaud du nord portait par moment la clameur et la liesse d’une foule qui semblait provenir de l’immense bâtisse.
-« Par tous les Dieux, qu’est-ce, cette folie ? Quelle est cette ville » balbutia la jeune mariée, qui pour une fois n’avait plus les yeux rivés sur la blessure de son époux. Personne ne se risqua à produire la moindre réponse à cette question, car aucun n'en avait la moindre idée.
Leur groupe s’éloigna progressivement de ce lieu et emprunta pendant près d’une demie heure une pente descendante, traversant les faubourgs pauvres de la cité pour en rejoindre finalement les limites. A cet endroit, plus rien de noble ni de raffiné. Les habitations, ou plutôt les abris étaient fait de bric et de broc, planches, plaques métalliques, glaise séchée, de véritables patchworks de matériaux assemblés tant bien que mal n’ayant d’autre vertu que celle d’offrir un toit au-dessus de la tête de ses propriétaires.
Ici, plus question de rues pavées, mais des chemins irréguliers et inconfortables de terre, boueuse par endroit. Les riches échoppes avaient fait place aux tavernes délabrées, maisons de passes, repères de brigands et coupe-jarrets divers et variés. Tout était sale et crasseux, si bien que toute la misère que pouvait rassembler la cité semblait avoir été parquée dans ce district mal famé.
Des ivrognes gisaient à même le sol devant un troquet miteux. A l’étage de ce bâtiment, une mégère difforme vidait par la fenêtre une bassine pleine d’une eau noirâtre écœurante.
Alors qu’elle s’enfonçait toujours plus dans cet environnement malsain, le convoi reçut l’ordre de s’arrêter lorsqu’il se trouva devant un large bâtiment de bois, positionné à flanc d’une haute colline dominant la partie sud de la ville.
L’immobilisme soudain de la cage, qui n’avait cessé de rouler des heures durant, perturba un moment l’équilibre de ses infortunés locataires. A peine leur moyen de locomotion à l’arrêt, que l’esclavagiste au fouet fit tourner la clé dans la serrure de la prison. Un grincement métallique précéda l’ouverture de la porte.
L’ignoble cerbère au visage marqué par les méfaits de la vérole leur aboya l’ordre de mettre pieds à terre. Les deux Asariens s’exécutèrent sans trop de difficulté, suivis par le nordique muet. Le jeune oriental eut plus de mal à s’extraire de la cage, tant sa blessure lui infligeait une souffrance indicible et ce, malgré tout le soutien que pouvait lui prodiguer sa femme. L’entreprise était périlleuse, et affaiblis à l’extrême par le trajet harassant qu’ils venaient de subir, un pas mal assuré précipita leur descente et les fit tous les deux s’effondrer lourdement dans la boue, provoquant l’hilarité des convoyeurs qui les observaient avec attention.
Ne restait plus que la prêtresse. Toujours recluse dans un des coins de la cage, elle s’était mise à trembler de peur dès que le convoi s’était arrêté. La crainte de ce qui l’attendait à présent la tétanisait complètement, la rendant incapable d’effectuer le moindre mouvement.
Face à cette insubordination, volontaire ou non, le vérolé bondit tel un félin, dans la prison roulante, saisit fermement la pauvre femme par ses long cheveux bruns et la traina violemment au sol alors qu’elle se débattait comme une enfant impuissante.
Alors que les six compagnons étaient à présent regroupés à terre, leurs mains et leurs pieds furent ferrés de lourdes chaines noires par leurs tortionnaires. On les attacha ensuite les uns aux autres, deux par deux à l’aide d’une longue chaîne ferrée à leur cou.
Après cet épisode qui ne fut pas sans rappeler le cérémonial d’un condamné, l’esclavagiste Encapuchonné, s’adressa alors à eux d’une voix sifflante et éraillée.
-« Aujourd’hui est un jour spécial pour nous tous, car c’est le jour que les Dieux ont choisis pour me rendre riche » annonça-t-il en frottant ses mains fripées qui se terminaient par de long doigts crochus et des ongles noircis qui n’étaient pas sans rappeler les griffes d’un animal sauvage.
-« Et c’est vous qui allez m’y aider, mes petits amis… en vous montrant sous votre meilleur jour à…la personne… qui nous attend dans ce bâtiment ! Allons, souriez !! Et surtout, réjouissez-vous car vous allez prendre part, d’une façon ou d’une autre au Grand Carnaval d’El Hazeem et à ses festivités ! » Il ne put finir sa phrase sans partir dans un fou rire trahissant une certaine folie.
Le Vérolé fit alors claquer son fouet dans l’air, tout en inclinant la tête pour indiquer la direction à suivre.
Le robuste Asarien avança le premier accompagné du Muet, auquel il avait été attaché par la force des choses et des fers…Suivaient de près le marchand et le jeune du Thé, séparée de son épouse qui suivait derrière couplé à la prêtresse terrorisée.
Alors qu'elle passait à proximité de l’Encapuchonné, celui–ci saisit l’avant-bras de la jeune femme de sa main squelettique. Il la força à se rapprocher de lui, jusqu’à ce quelle sente son souffle putride, puis ses lèvres sèches parcourir sa joue. Des yeux clos de la femme commencèrent à perler des larmes. La langue immonde et grasse du vieillard se délecta alors de l’une de ces gouttes de terreur et glissa le long de son visage, jusqu’à son oreille dans laquelle il murmura :
-« Toi je t’aurais bien gardée pour moi… devenir ton initiateur m’aurait procuré… j’en suis sûr, bien des plaisirs. Et toi, il ne fait nul doute que tu en aurais redemandé. »
Violée psychologiquement et profondément traumatisée par ces mots, elle éclata alors en sanglots. Brusquement, l’Encapuchonné l’écarta du bras qui la maintenait soumise et la fit chuter à terre violemment avant de s’adresser une nouvelle fois aux détenus :
-« Rappelez-vous !!! Sous votre meilleur jour !! Un geste, un faux pas, un mot non sollicité… et je vous égorge… »
D’un geste sec et nerveux, il fit signe à l’un de ses sbires de faire avancer les détenus. La porte s’ouvrit grand devant eux. Une musique forte, ainsi que des rires gras parvinrent alors jusqu’à leurs oreilles, ainsi qu’une forte odeur d’herbes à fumer et d’effluves de bière.
Lorsqu’ils foulèrent le seuil du bâtiment, leurs yeux ne purent s’adapter à la pénombre ambiante. Ils n’y verraient vraisemblablement plus grand-chose pendant de longs instants.
Une voix essoufflée et inquiétante, presque animale, s’éleva dans l’obscurité et fit taire dans l’instant la totalité des autres bruits ambiants…
-« Voilà que… nos invités...daignent enfin nous rejoindre ».
L’Asarien, malgré sa cécité temporaire senti sans s’y tromper de nombreux regards l’oppresser. Un profond malaise l’envahit alors. La voix de l’interlocuteur mystérieux minait son moral à chaque mot prononcé…
-« Allons, soyons éduqués… et souhaitons leur… la bienvenue. »
Après une courte pause qui leur sembla bien durer une éternité ou deux il reprit.
-« Bienvenue en Enfer. »
****
Tout autour de la pièce des rires s’élevèrent et les commentaires désobligeants sur l’aspect et la dégaine des prisonniers fusèrent de part et d’autre, ponctué par des rires et des insultes.
Peu à peu, les yeux des détenus s’habituaient à l’obscurité. Bientôt, l’Asarien eut une parfaite vision de la scène qui se jouait face à lui.
Ils se trouvaient dans ce qui ressemblait à une vaste salle de taverne uniquement éclairée par la seule lumière qui peinait à traverser les vitres encrassées des fenêtres et de quelques bougies posées sur des tables disposées en cercle tout autour de la pièce. A chacune d’entre elles, étaient installés des clients, patibulaires pour la plupart d’entre eux, qui s’enivraient de bière et autres boissons fortement alcoolisées proposées par des serveuses presque nues, tandis que d’autres jouaient à des jeux d’argent.
Au milieu de la pièce enfumée par les émanations de pipes, se trouvaient deux femmes disposées au centre d’une longue et robuste corde disposée en cercle quasi parfait. Tandis que la première passait énergiquement la serpillère sur flaque de sang poisseuse, la seconde semblait récolter ce qui ressemblait, de loin à des lambeaux de chair avant de les mettre dans un seau.
Un orchestre sinistre, qui s’était remis à jouer doucement depuis leur arrivée, était installé tout près du comptoir. Les musiciens semblaient tous comme surgis d’outre-tombe tant leurs mines étaient pâles et leur yeux hagards. Ils jouaient mollement sur des instruments qui ne pouvaient être rien d’autre que l’assemblage d’objets de récupérations et autres détritus trouvés à la décharge la plus proche.
Mais le plus inquiétant était à venir. Au nord de la pièce et sur presque toute sa longueur, était dressée une estrade sur laquelle se trouvaient des danseuses qui se s’agitaient de façon lascive autour de trois individus mystérieux regroupés au centre de l’édifice. Le premier siégeait sur un imposant trône, macabre enchevêtrement de membres et de visages humanoïdes liés entre eux par du métal fondu. Le tout donnait véritablement envie de rendre et offrit au prisonnier l’une des choses les plus horribles qu’il lui ait jamais été donné de voir.
Sur cet improbable siège était installé un homme si obèse et gras qu’on se demandait s’il était encore capable de se mouvoir lui-même sur ses propres jambes, grosses comme des jambons. Son visage était affublé d’un double menton qui descendait presque jusqu’au milieu de son ventre énorme. Ses mains étaient petites et ses doigts boudinés. Chacun d’entre eux étaient ornés d’une ou plusieurs bagues de fine facture serties de précieux joyaux. Cette « chose » difforme était habillée d’une ample tunique de velours rouge vif, rehaussée d’un liseré jaune éclatant. Son visage était certainement la partie de son corps –visible- la plus répugnante. Il affichait un teint blafard, sa bouche laissait parfois apparaître des dents noircies et gâtées. Régulièrement sa langue violette, qui ressemblait à s’y méprendre à une grosse limace baveuse, humectait d’un mouvement ses lèvres écarlates, qui contrastait avec son teint maladif. Enfin au-dessus de son nez porcin, deux larges cavités oculaires dans l’une desquelles avait été greffée un rubis rouge sang gros comme un œuf qui brillait dès que la lumière se reflétait sur l’une de ses facettes. Son unique œil valide fixait les nouveaux venus avec un air entendu.
Il tenait dans sa main droite un cuissot de sanglier qu’il portait à sa bouche pour en déchirer à chaque fois de larges morceaux bien gras et juteux, dont une majorité venait s’échouer sur sa tunique écarlate souillée…
A sa droite, était installé un individu revêtu d’une armure de plaque complète noire comme la nuit. Il portait un casque qui lui recouvrait intégralement le visage. Depuis que les prisonniers avaient retrouvé la vision, ce dernier n’avait pas émis le moindre son, ni bougé d’un iota. Immobile. Les deux fines fentes horizontales dont était doté son casque noir étaient toutefois dirigées vers le groupe. Ses deux mains, jointes reposaient sur le pommeau de sa large épée, fichée dans le sol entre ses deux pieds. Même assis de la sorte, on imaginait qu’en se redressant totalement, il devait rendre facilement deux têtes à l’humain moyen.
Enfin, à la gauche de l’Obèse, un siège, vide en apparence, mais sur le dossier duquel se tenait équilibre ce qui ressemblait à un bouffon. Accoutré d’habits de carnaval aux couleurs criardes, usé et rapiécé par endroits, il se balançait sur son siège tel un oiseau sur son perchoir. Tantôt sur un pied, puis sur deux, il n’éprouvait visiblement aucune espèce de difficulté à se mouvoir ainsi, faisait ainsi tinter les grelots cousus à même son chapeau ridicule et son costume bouffant. Sa taille était ceinte d’une épaisse lanière de cuir brun, de laquelle pendaient deux lames courtes à nue de fort belle facture, et parfaitement équilibrée.
Si l’Obèse inspirait le dégoût, et le Monstre en armure la peur, ce dernier à n’en point douter le malaise, tant son visage pouvait troubler quiconque l’observait. L’intégralité de celui-ci était recouverte d’une épaisse couche de poudre blanche, en son centre, deux yeux de dément, dont les paupières ne battaient à aucun moment, fixes et troublants, sous lesquels étaient dessinés deux traits noirs, semblables à des larmes sombres coulant le long de ses joues. Enfin, sa bouche aux lèvres peinturlurées de rouge affichait deux rangés de dents taillées en pointes…
L’Asarien, en ce moment précis, bien qu’ayant toute sa vie fait preuve d’un certain courage, aurait, s’il l’avait pu, prit volontiers ses jambes à sa cou. Il en venait même à regretter de ne plus être à l’abri des barreaux de sa cage.
Jamais dans ses cauchemars les plus fous, n’aurait-il pu imaginer un tel tableau d’horreur. Qui étaient ces gens qui semblaient tout droit sortis d’on ne sait quel Enfer ?
Alors que les questions affluaient à son esprit sans qu’il ne puisse pour autant y apporter de réponse, l’Encapuchonné vit quelques pas vers le centre du tripot en saluant l’estrade d’un mouvement de la main droite, détourna de ce fait, tous les regards de l’assemblée vers lui.
Sa voix sifflante caractéristique se fit entendre.
-« Mes respects profonds, Mestre Hector. Ainsi que convenu, je vous apporte en ce jour la marchandise en nombre souhaité. Quatre males et deux femelles, comme le précisaient les conditions de notre accord, ainsi que l’intégralité de leurs possessions que mes hommes vous feront porter à l’endroit de votre convenance. »
De l’estrade ne vint aucune réponse, ni réaction.
L’Encapuchonné poursuit alors, avec un peu d’hésitation.
-« Ces personnes sont donc vôtres à présent. Il vous revient maintenant de vous acquitter du… paiement prévu. »
Visiblement peu à l’aise, le marchand d’esclaves sembla soulagé lorsqu’Hector prit la parole, non sans avoir au préalable déglutit bruyamment après une grosse rasade de vin épicé. D’un revers de manche il essuya le vin qui dégoulinait sur son goitre et claqua ses doigts potelés en direction du bouffon tout en déclarant de sa voix essoufflée.
-« Acquitte-nous Jester… Acquitte nous bien… ».
La scène qui suivit aurait été impossible à observer pour des yeux non exercés. Heureusement, l’Asarien avait écumé de nombreux champs de bataille et, s’il n’était pas légionnaire de profession, avait toutefois quelques prédispositions et des réflexes supérieurs à la moyenne.
Dès qu’Hector eut finit sa phrase, le bouffon encore perché sur son siège, sembla comme disparaître brusquement dans la fumée qui stagnait dans la salle … L’instant d’après, un sifflement fendit l’air et comme venue de nulle part, l’une de ses deux lames vint se ficher dans la cuisse droite du renaissant encapuchonné, sectionnant au passage son artère fémorale.
Une voix aigrelette et stridente résonna dans la pièce, sans que l’on puisse déterminer vraiment sa provenance.
-« Voici la pénalité retard… »
La victime n’eut le temps que de mettre le genou à terre, rien de plus, pas même il ne put hurler sa douleur, que Jester se matérialisa dans son dos, passa une main dans ses cheveux et bascula sa tête en arrière, juste ce qu’il faut pour que son autre lame puisse esquisser une funeste caresse sur sa carotide.
Le corps sans vie de l’homme s’effondra sur le sol en émettant de légers gargouillis…
Le bouffon, qui était déjà à nouveau installé sur son siège, à l’envers, la tête vers le bas ajouta :
« Et voilà ton solde… tu peux garder la monnaie. »
****
Un flot de sang se rependit sur le sol poussiéreux. A peine le cadavre encore chaud de l’esclavagiste s’étala-t-il de tout son long, que les deux jeunes femmes qui s’affairaient déjà plus tôt à nettoyer le plancher étaient une nouvelle fois sollicitée pour évacuer la dépouille inerte.
Au même moment, la porte de l’auberge s’ouvrit, laissant pénétrer un individu qui portait dans sa main droite une hache ensanglantée et dans la gauche ce qui ressemblait à… une tête. Il se contenta de lever celle-ci en direction de l’estrade et d’ajouter à son geste :
-« Le convoi est à nous, Mestre », ce à quoi Hector répondit par un sourire approbateur.
La scène était une fois de plus difficilement soutenable, sauf pour les clients, qui semblaient globalement satisfaits du spectacle proposé par leurs hôtes. La jeune prêtresse, en l’occurrence, eut bien du mal à se contenir, tant son cœur et son estomac se révulsèrent à la vue de ce qu’il venait de se produire sous ses yeux.
Ses larmes n’avaient cessé de couler depuis qu’elle avait franchi le seuil de cet établissement. C’était plus que ce qu’elle ne pouvait objectivement supporter. Elle s’écroula brusquement, sur ses genoux, tremblant de tout son être et inconsolable. La jeune mariée, à laquelle elle avait été enchainée, s’empressa de se porter auprès d’elle, comme pour rendre son épreuve plus supportable, sans pour autant être certaine que son réconfort suffise à la calmer. Elle-même avait déjà grand mal à ne pas céder au fatalisme.
-« Pauvres petites natures, frêles et fragiles… Les voici qui s’effondre à la première goutte de sang versée... » Reprit Hector, de sa voix essoufflée. Il poursuivit alors.
-« Alors que vous devriez bénir les Dieux de vous avoir mené jusqu’à Hector !!! Hector est bon, Hector est grand ! Hector vous invite gracieusement à assister aux Jeux du Carnaval voyez-vous ! »
Il désigna les femmes d’un geste plein de dédain et de dégoût.
-« Vous, les pucelles, servirez à la taverne. Hector attend des invités en nombre pour l’occasion. Et Hector croit que vos charmes et vos cuisses lui permettront de faire de beaux profits !... Oh mais ne pleurez pas !! Cela ramolli le client… et cela nous ne le souhaitons pas ? Si ? Qu’en sais-je moi au juste ?!»
L’ignoble obèse partit alors en un rire obscène qui trouva rapidement échos dans la salle.
-« Hector n’a jamais été vraiment… très au fait de ces choses-là… les femmes me dégoutent bien plus qu’elles ne m’attirent. » Il se mit à rire de plus belle avant de porter à sa bouche une grappe de raisins entière.
-« Hector laisse à Marla le soin de vérifier qu’il n’a pas été trompé sur … sa marchandise…. Elle saura mesurer votre aptitude à… faire enfler la bourse d’Hector! » Il claqua des doigts.
Les deux jeunes femmes, enchaînées et terrifiées furent bientôt emmenées dans une salle attenante par un homme armé, accompagné par une vieille mégère décrépie, aussi avenante qu’un chien enragé auquel on aurait arraché la queue…
-« Je vous laisse à ses doigts experts » L’assemblée s’esclaffa une nouvelle fois, passablement excitée par la détresse des pauvres prisonnière et du traitement dont elles allaient très vite faire l’objet. Deux ou trois tournées de bière furent commandées l’instant qui suivit, et l’orchestre se mit à jouer un air plus entraînant.
Hector reprit alors le cours de son petit monologue. Devant lui ne restaient plus que les quatre prisonniers. Le robuste Asarien et son compatriote marchand, enchaînés respectivement au Muet et à l’Oriental qui dansait depuis plusieurs heures avec la Mort.
-« Voilà, m’est d’avis, qui est bien plus intéressant ! Regardez-les ! N’ont-ils pas l’air tout comme il faut ? » L’unique œil d’Hector inspectait avec une profonde minutie chacun des quatre protagonistes qui se dressait face à lui, tout en passant langoureusement sa langue sur ses lèvres boursouflées et se frottant les mains, manifestations évidentes d’un plaisir des plus ostentatoire.
Il s’adressa alors aux prisonniers d’une voix basse, chuchotant presque…
-« Il faut qu’Hector vous explique ce qu’il attend de vous. Hector a obtenu du Grand Consul qu’il puisse présenter quatre combattants lors du Charnier qui marquera l’ouverture des Jeux… A ce jour, Il est sûr d’y convier Jester, à qui vous venez d’être présentés, ainsi que Misère, ci-présent, à côté D’Hector » dit-il en désignant la masse de ferraille immobile siégeant à sa droite.
-« Les deux places restantes seront offertes aux deux meilleures recrues de l’Ecole d’Hector ». Une lumière inquiétante se reflétait sur les facettes polies de la pierre figée dans la cavité oculaire du Mestre.
-« Et c’est là que vous intervenez. Hector a constaté… une défection dans ses rangs. Une petite rixe entre écoliers, survenue il y a quelques jours s’est soldée… comment dire… par le départ de l’un de nos postulants… les pieds devants… et sa tête… dans un paquet. Les places sont chères et la concurrence va bon train…. C’est bon pour les affaires, pense Hector. »
Il marqua une pause. Saisit une chopine sur l’accoudoir de son trône et évalua son poids, constata qu’elle était vide avant de la jeter violement au visage d’une serveuse qui passait non loin. Agacé il prit une bouteille de vin vieux qui patientait à portée, en avala de grandes rasades, puis essuya sa bouche d’un revers de manche.
Entre temps, deux sbires avaient porté jusqu’en bordure du cercle de corde qui matérialisait le milieu de la salle, un large coffre de bois et de fer, desquels ils tirèrent une épée émoussée, un bouclier de piètre facture et une hache courte à moitié rouillée. Ils jetèrent négligemment le tout au milieu du cercle, aux pieds des quatre prisonniers.
-« A présent, cette place… est à prendre… Hector vous l’offre… Enfin, Il l’offre à l’un d’entre vous… Celui qui en manifestera le plus, l’envie. Celui qui, aux yeux d’Hector, la méritera le plus… » Ajouta-t-il, dans un état d’excitation qui flirtait dangereusement avec l’hystérie.
Figés sur place, comme si la foudre venait de les frapper simultanément, les esclaves prenaient conscience de la situation et commencèrent à se jeter des regards emplis d’incompréhension, de méfiance et de peur. Machinalement, leurs yeux se portaient aussi sur les armes qui jonchaient le sol, mais aussi, sur les fers qui les reliaient à leur binôme.
Ayant partiellement repris son souffle, Hector finit par ajouter :
-« Vous avez dix minutes pour vous départager. Hector n’a jamais été vraiment amateur de grandes proses et de longs discours. Aussi, les armes à vos pieds vous aideront-elles à vous faire remarquer. Si au-delà du temps imparti, il ne devait rester plus d’un postulant debout, Misère se verrait dans l’obligation de constater la nullité de l’épreuve… A sa façon. »
L’obèse et machiavélique personnage leva alors une main en l’air. La foule se tut dans l’instant, la tension ambiante était à son paroxysme, tandis que depuis l’emplacement de l’orchestre, provenait le son d’un roulement de tambour. Interdits, les quatre prisonniers observaient, depuis le cercle de combat, le Mestre qui prenait un malin plaisir à se jouer de leur vie.
D’un geste brusque, sa main se rabaissa.
-« A présent, la mort pour les faibles !!! »
****
La phase d’observation ne dura pas éternellement. Alors que le nordique aux cheveux blonds comme les blés se ruait déjà au sol pour s’emparer de la hache laissée à sa portée, il déséquilibrait dans le même temps l’Asarien auquel il était enchaîné par le bras, le faisant lourdement tomber au sol.
Au même moment, le Marchand, pris d’une peur panique, mit la main sur le bouclier et tentait tant bien que mal de se mettre en retrait, dans les limites que le cercle de corde lui imposait.
Cette surface de combat bien que singulière, était suffisamment large pour permettre à quatre lutteurs d’y évoluer sans se gêner. Néanmoins, les chaines qui reliaient chacun d’entre eux à son binôme entravaient grandement leurs déplacements. De plus, nulle fuite possible, encerclés qu’ils étaient par les clients de la taverne et sous l’œil vigilant des personnes positionnées sur l’estrade.
Assis sur son trône de cadavres amoncelés, Hector observait, tel un enfant auquel on aurait offert une visite au cirque, ses prisonniers se débattre à ses pieds.
Dans la salle, les convives commençaient à gronder, s’exciter. Les serveuses avaient fort à faire pour honorer et servir toutes les commandes passées. A certaines tables, les paris s’engageaient et le tintement des espèces trébuchantes se faisait entendre.
Resté au sol depuis le début du combat, le jeune du Thé, handicapé par sa lourde blessure, ne semblait représenter aucun danger tant il luttait déjà pour ne pas perdre connaissance. Les yeux pleins d’incompréhension et de peur, il fixait ceux de l’Asarien qui l’avait rejoint ici-bas, après qu’il eut chuté. Tant bien que mal, ce dernier se redressa, maudissant un genou et une épaule endoloris.
Il n’eut que quelques instants pour anticiper et éviter de peu le tranchant d’une hache dont le souffle flirta dangereusement avec son cou. Visiblement le Nordique avait pris ses résolutions. La vie de ses compagnons de route ne valait apparemment pas de mettre en danger la sienne. Du moins, c’est le sentiment qu’il donnait.
Déjà revenait-il à la charge du prisonnier à la peau mate, désarmé. Ce dernier, qui en ce jour bénissait les formations obligatoires au combat imposées à chaque habitant de ses contrée l’année de sa majorité. Il revoyait devant lui l’image du haut Légionnaire Hamry, le toiser de toute sa hauteur, le masque sombre et sévère et lui répéter inlassablement les mêmes mots.
-« Vigilant, soyez vigilant. Vous êtes un combattant correct, mais vous manquez d’observation… »
En ce moment même, le principal danger était face à lui ; un muet armé d’une hache qui défendrait chèrement sa peau.
Une nouvelle fois, le puissant coup d’estoc fut évité non en avoir habillement esquivé l’attaque. Emporté dans son élan, le guerrier aux cheveux de paille vint alors heurter de plein fouet le marchand, toujours recroquevillé derrière son bouclier abîmé.
Fébrile et n’ayant pas pensé à stabiliser ses appuis au sol, il fut littéralement projeté dans les airs. Le choc frontal fut si rude que le tranchant de son bouclier lui emporta l’épaule gauche, brisant au passage sa clavicule dans un craquement d’os qui n’était pas sans rappeler celui d’une branche sèche.
Il hurla, tel un dément, un cri qui déchira le brouhaha ambiant qui régnait dans le tripot. Finalement il acheva son vol plané sur l’une des tables les plus proches des combattants et ne put retenir un flot de sang qui s’échappa de sa gorge, résultante du choc.
Alors la voix stridente de Jester annonça tel un aliéné :
-« Hors limite !! Il est hors limite !!!! C’est une faute !! Une faute, il faut le punir !!! Punissons-le !!!»
Telle une sanction venant s’abattre sur le fautif, une nouvelle fois, un couteau de lancer du Bouffon, finement ouvragé, fendit l’air pour se ficher net dans la carotide du malheureux, gisant sur la table de bois.
Les deux autres protagonistes actuellement en opposition n’eurent guère le temps d’observer la scène de mise à mort qui venait juste de se dérouler à quelque pas de là. Dans cette lutte qui s’était engagée depuis maintenant plusieurs minutes, aucun des deux combattants ne semblait avoir pris le dessus sur l’autre.
Ils s’affrontaient pourtant à armes inégales puisque l’Asarien, persuadé que tous refuseraient le combat, ne s’était précipité sur aucune des armes laissées à leur disposition et devait donc se défendre à mains nues.
Une nouvelle fois, il anticipa l’assaut de son opposant. Le nordique semblait habité d’une force colossale, certes, mais ses mouvements étaient lents, prévisibles, empruntés et ne présentaient pour le moment aucune réelle menace pour l’habitant d'Asarie.
Il parvint même à saisir le bras de son adversaire alors qu’il tentait de lui ravager le flanc dans un large mouvement de revers.
Alors, les instructions dispensées il y a longtemps par Hamry se rappelèrent à ses instincts, sa main gauche saisit fermement l’avant-bras de l’assaillant, son bras droit se glissa habilement sous son aisselle et bloqua l’articulation de l’épaule, puis mécaniquement il exerça une pression horizontale.
Tout muet qu’il était le nordique émit un râle étouffé d’agonie semblable à celui d’une bête que l'on abat. Sa main, au bout de son bras brisé par la prise, lâcha son arme qui tomba au sol. Il s’effondra à son tour au sol, agenouillé, tel un pénitent expiant ses péchés attendant la sentence ultime qui ne tarderait pas à venir.
Vigilant… Le mot résonnait inlassablement dans l’esprit concentré du combattant bronzé alors qu’il ramassait à son tour la hache au sol.
Vigilant… Toujours. Il s’approcha alors de son adversaire, devenu proie facile, qui accroupit, lui tournait le dos.
Vigilant… il l’était, et vit donc venir l’ultime tentative, mélange d’instinct de survie et d’acte désespéré, visant à le balayer d’un mouvement circulaire de sa jambe droite.
Esquive… Lever sa jambe. Eviter l’assaut. Une dernière fois. Rabattre violemment son pied sur la cheville. La briser. En morceau. Apprécier sa supériorité. Constater sa victoire. Punir.
Abattre la lame d’un geste en diagonale. Emporter la jugulaire. Relâcher la pression exercée par son pied. Constater l’écoulement du sang.
C’en était fini.
L’adrénaline ne finissait pas d’affluer et de brouiller sa perception des choses. Son cœur emballé, battait la chamade dans sa cage thoracique. Jamais ne s’était-il comporté ainsi, en véritable machine à tuer… Lui homme de foi et d’Etat, il avait aujourd’hui, pour sa survie emprunté une fois qu’autrefois il aurait condamné.
Une ultime fois l’image d’Hamry se matérialisa face à lui.
-« Vigilant, soyez vigilant. Vous êtes un combattant correct, mais vous manquez d’observation… »
Il se demanda alors à l’instant pourquoi son instructeur insistait avec cette vieille rengaine, alors qu’en l’occurrence des éloges auraient été bien plus à propos.
Mais alors qu’il s’apprêtait à jeter son arme au sol et reprendre son souffle, il ressentit une violente piqûre milieu du dos.
Une éraflure probablement. Quelques onguents, un peu de repos et il n’y paraîtrait plus rien.
La douleur se fit toutefois plus intense et enflamma son être tout entier. Ses jambes le lâchèrent soudain alors qu’il portait machinalement ses mains vers une excroissance qui entravait son abdomen.
La salle était subitement comme silencieuse. Incroyablement sombre aussi.
Son regard, embrumé, ne semblait plus distinguer que des formes éthérées et des silhouettes grossièrement détourées qui s’agitaient devant lui.
Il baissa la tête et constata qu’une épée traversait son corps de part en part, enfoncée jusqu’à la garde dans son dos.
-« Vigilant, soyez vigilant. Vous êtes un combattant correct, mais vous manquez d’observation… le combat ne se résume pas à son commencement et à sa fin… Un vrai guerrier ne cesse jamais d’avoir ses sens en éveil. Il en va de sa survie. »
Répéta une nouvelle fois Hamry avant de s’effacer définitivement.
Mais bien sûr, pensa-t-il… Il avait omis une partie des préceptes édictés par son mentor. Et probablement la partie essentielle.
Il se souvint alors. Trois armes au départ. Son esprit fut alors frappé de plein fouet par quelques images qu'il se remémorait à présent.
Il n’avait pas vu l’Oriental profiter du manque d’attention dont il faisait l’objet pour dissimuler l’épée sous son corps affalé au sol. Tout ce qu’il avait vu, c’était un mourant.
Il n’avait pas plus observé que sa blessure avait depuis deux jours, été traitée avec succès par les herbes récoltées au gré des haltes du convoi par sa femme. Tout ce qu’il avait vu, c’était une femme pudique, s’éloignant pour faire sa toilette.
Il n’avait pas non plus, reconnu le symbole présent sur le poignet de cette femme, qui en vérité était le tatouage caractéristique dont les femmes du Pays du Thé étaient marqués à la fin de leurs études de médecine, signalant ainsi leur condition aux yeux de tous et de ce fait les obligeant à porter assistance à qui leur en fait la demande. Tout ce qu’il avait vu ici, c’était une coquetterie féminine.
Il avait été dupé par le parfait jeu d’acteur de son époux qui feignait depuis, un état d’agonie irréversible, dans l’espoir secret que les marchands d’esclaves ne les relâchent, elle et lui, en raison de la baisse de leur valeur marchande. Ce qui n’arriva jamais. Tout ce que L’Asarien y avait vu, c’était un cadavre en devenir.
A présent, il ne le voyait pas plus, triomphant dans son dos, les bras levés vers le ciel.
Un filet de sang aqueux s’écoulait le long de sa bouche depuis la commissure de ses lèvres. De grosses gouttes de sueur perlaient depuis ses cheveux en bataille sur sa peau dorée. Encore à genoux, ses dernières forces s’estompèrent progressivement. Ses yeux gris aciers se fermèrent alors.
C’est ainsi que le corps de l’Asarien bascula violemment en avant, jusqu'à s'écraser sur le sol, soulevant un nuage de poussières dense.
C’est ainsi que dans un dernier moment de lucidité il se remémora le chemin qui l’avait conduit jusqu’ici. Puis dans un dernier souffle, la vie s’échappa de son corps inerte.
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Mortelune- En formation de Maître
Re: Bienvenue en Enfer
Le silence s’installa un temps dans le bouge immonde rempli de soûlauds, comme si pris de remords soudains, la racaille enivrée s’était évertuée à rendre un dernier hommage au combattant honorable qui gisait à présent dans son propre sang, étalé sur le sol crasseux.
Mais cet instant solennel disparu aussi vite qu’il n’était venu. Aussitôt l’effet de surprise estompé, le vacarme reprit de plus belle, les chants et les cris se firent à nouveau assourdissants, associés aux bruits des chopines qui trinquaient et des pièces de cuivre qui trébuchaient sur les tables.
Les gains des paris transitaient d’une main à l’autre aussi vite que les plats de viande grasse ne défilaient depuis les cuisines d’où s’échappait une odeur de graillon et de friture écœurante.
On ôta rapidement les fers du seul homme présent dans le cercle de corde, qui se tenait encore sur ses deux jambes.
A la vue des mines déconfites des parieurs, dont certains avaient quitté dépités la taverne peu après la fin du combat, personne n’avait vu venir le scénario qui s’était pourtant réellement produit sous les yeux médusés de l’assemblée.
Même Hector, néanmoins ravis du spectacle sanglant qui lui avait été offert, semblait fort surpris de la tournure des événements.
Il s’adressa alors au jeune homme qui le toisait en contrebas de l’estrade sur laquelle il siégeait.
-« Hector a pu observer maints et maints combats… de nombreuses techniques et stratégies guerrières… des armes exotiques aussi… des combattants aux styles très différents, rapportés de leurs contrées… mais il n’a pas souvenir d’avoir jamais observé un combattant si fourbe… »
La clientèle, qui entre temps s’était à nouveau tût, écoutait le Mestre avec attention et un soupçon d’inquiétude.
Elle fut d’un coup rassurée lorsqu’Hector se mit à rire à gorge déployée.
-« Mais la fourberie est une qualité indéniable dans une lutte à mort, et tu l’as prouvé à Hector. Peut-être te permettra-t-elle de vivre quelques jours de plus et de te faire un nom pendant les jeux du Carnaval » Il but bruyamment une gorgé de vin avant de reprendre.
-« A présent tu vas être conduit dans l’Ecole, où pendant les quelques jours qui nous séparent du Grand Charnier, les employés d’Hector tenteront de t’apprendre deux ou trois choses qui pourront te servir ultérieurement… et par extension, servir à Hector. Car plus de temps tu tiendras débout, et plus tu lui rapporteras… Mais assez de ces considérations pécuniaires qui ne te concernent de toute façon en aucun cas… Avant de t’expédier au ludus, Hector a besoin de connaître le nom de celui qui le représentera sur le sable, lors des jeux… tu as bien un petit nom ???».
L’oriental, qui n’avait prononcé le moindre mot depuis sa victoire, parla enfin.
-« Sun Wu, je me nomme Sun Wu Yuang. »
A l’évocation de son nom, Hector fut comme frappé de stupeur et eut bien du mal à retenir un rire dément laissant apparaître ses dents noircies et gâtées. Ses mains jouaient nerveusement avec les anneaux précieux qui ornaient ses doigts boudinés. Il répondit alors, tout en toisant Sun Wu de son œil de rubis écarlate :
-« Yuang… est un nom qui n’est inconnu pour personne… même ici. Est-il possible que tu sois issu de la famille qui gouverne la province du Thé Jaune? »
Pour toute réponse, Sun Wu se contenta de préciser :
-« J’ai un oncle nommé Toshiro, en effet. »
Visiblement épaté, Hector entra dans une euphorie presque infantile, s’agitant tel un poisson qu’on sort de l’eau.
-« Mes amis la chance nous sourit enfin, un invité de marque vient de rejoindre la Maison d’Hector !!! Le Maitre Marchand Khôl le récompensera grassement pour cette offrande que je lui ferai pour les Jeux !!! »
La liesse générale s’empara alors de la taverne, plus sauvage et bruyante que jamais. Certains clients montaient sur les tables, d’aucun chantaient des chansons aux paroles graveleuses, d’autres enfin, emportés par l’hystérie ambiante passaient leur nerfs sur les filles de joie qui déambulaient lascivement dans l’endroit.
Alors que le vacarme couvrait presque sa voix, Hector intima l’ordre à deux hommes lourdement armés d’emmener son prisonnier.
L’instant d’après Sun Wu Yuang fut conduit à l’intérieur d’un complexe d’entrainement qui jouxtait la taverne.
Quelques minutes plus tard, l’oriental était traîné de force au travers d’un vaste cours sablonneuse, au milieu de laquelle se tenait une petite dizaine de combattants qui s’entraînaient avec ardeur. Son passage ne passa pas inaperçu et à l’instar du nouveau qui rejoint une classe d’école, attira tous les regards des combattants sur lui.
La plupart d’entre eux semblait savoir se battre correctement, mais le bref passage dans cette cours lui laissa quand même entrevoir quelques faiblesses techniques, des prises d’armes mal assurées, des déplacements hésitants… A priori, tous les esclaves ne faisaient pas de bons combattants… du moins ceux-là ne l’impressionnaient nullement.
Après ce passage furtif de Sun Wu, les gladiateurs reprirent rapidement le cours de leurs occupations, rappelés à l’ordre par le claquement du fouet de leur mentor.
Les gardes d’Hector accompagnés de leur prisonnier, pénétrèrent alors dans le complexe proprement dit, un long et large bâtiment en pierres de taille, qui semblait vieux de plusieurs siècles…
Comme dans la taverne d’Hector, la luminosité y était très faible. Les étroits corridors qui permettaient de s’acheminer vers les différentes pièces n’étaient éclairés que par quelques torches accrochées aux murs tous les quinze ou vingt pas… En plus de l’obscurité tenace qui régnait dans ce lieu, il y faisait également atrocement chaud et l’air y était rare… rendant l’atmosphère suffocante.
Par ailleurs, le silence régnait. Seuls les bruits de pas et du grincement des portes de bois qui s’ouvraient sur leur passage rompaient quelque peu avec la monotonie ambiante.
Leur trajet les conduisit à une sorte de salle commune, simplement pourvue de bancs et tables en bois non traités où devaient probablement être servis les repas en provenance de la cuisine située non loin, et d’où s’échappaient une odeur de soupe peu appétissante, avant de traverser ce qui devait s’apparenter à l’armurerie mise à disposition des combattants, dans laquelle étaient disposés contre les murs de pierres brutes, des râteliers d’armes plutôt bien fournis.
Rien ne manquait, notamment pour ce qui concernait les épées, courtes et longues, bâtardes, claymores, ciselées ou non, et mêmes quelques spécimens exotiques à lames fines et courbes que connaissait bien Sun Wu, appelées Katana, Wakizashi, ou encore No-Dashi dans sa contrée d’origine. Les autres types d’armes n’étaient pas en reste, haches, fléaux, marteaux de guerre à une ou deux mains, tridents, fouets, filets de combat… Visiblement on avait apporté un souci particulier à ce qu’aucune arme ne puisse faire défaut à qui la demande…
Dans une autre partie de la pièce, de nombreux mannequins en bois, grossièrement assemblés, supportaient des pièces d’armures de factures diverses, en cuir bouilli pour la plupart, mais aussi en maille ou en plaque pour quelques rares autres.
En traversant cette armurerie, Sun Wu ne put empêcher son esprit de s’imaginer tenter l’impossible en se ruant sur un râtelier pour se saisir d’une arme et se débarrasser de son embarrassante escorte… mais ce fut de courte durée. La promiscuité des lieux faisant de cette idée, une entreprise absolument suicidaire.
Il se laissa donc guider jusqu’au bout. Après être descendu de quelques niveaux sous terre, à l’aide d’un ascenseur à poulie, il parvint jusqu’aux quartiers des esclaves, qui n’étaient rien d’autre qu’une prison dans laquelle une allée centrale unique donnait accès à la vingtaine de cellules dans lesquelles étaient enfermés les combattants après leurs longues journées d’entrainement.
Au contraire des niveaux supérieurs, il régnait ici une agitation déconcertante et anormale. Les gardes semblaient en état d’alerte. Ca allait et venait, de façon désorganisée, dans l’empressement et la colère parfois.
Un petit attroupement de gardes au milieu du couloir rendait impossible l’accès aux cellules situées au fond du couloir, et cela semblait gêner les deux escorteurs missionnés par Hector. L’un deux interpella les gardes qui leur tournaient le dos et n’avaient pas remarqué leur arrivée.
-« Hey là, vous, hors de notre chemin, laissez-nous passer, nous avons un prisonnier à vous confier, sur ordre d’Hector » dit-il en aboyant
Visiblement surpris, l’un des gardes se retourna, laissant alors entrapercevoir un corps démembré gisant au milieu de la pièce.
-« C’était une jeune recrue – dit-il en désignant le cadavre au sol - Nous l’avions pourtant prévenu… il savait pourtant qu’il ne fallait pas nourrir les prisonniers seuls… Surtout pas celui qui occupe la cellule dans laquelle nous l’avons retrouvé…»
-« Mais enfin soldat, qu’est-ce que c’est que ce putain de merdier !!! » répliqua l’homme qui maintenait toujours Sun Wu fermement par le bras
-« Raaah, quel abruti… il va encore falloir tout nettoyer ! Quand vont-ils se décider à faire gaffe… c’est le troisième qu’il nous désosse depuis qu’on la mise là… et pourtant il ne s’entraîne même plus… Voilà deux cycles lunaires qu’on ne le sort plus !!! On ose à peine y glisser un bras pour lui filer à bouffer… va falloir remonter le message au porc qui te sert de patron… » souffla le garde, visiblement prêt à exploser de rage
-« Surveille ta langue, ou il se pourrait bien que le porc en question fasse mander l’un de ses gens pour te la couper… » Commenta le sbire d’Hector.
-« Ouai ouai… ça va… je sais qu’il nous paie bien pour entraîner ses recrues… mais quand même… ça devient intenable… Plus personne ne veut venir bosser ici… certains en place parlent de démission… Va falloir récupérer votre trouvaille»
-« Calme toi, la trouvaille en question, elle sort dans sept jours, pour le Grand Charnier, et vu le concept, je pense que vous ne la reverrez plus après. Tu pourras dire aux autres gladiateurs qu’ils pourront arrêter de faire dans leur froc en pensant à "La bête" »
-« Qui d’autre est prévus pour la sauterie ? » demanda le garde
-« Personne d’autre. Mestre Hector a décidé que les pucelles que vous avez formées n’étaient pas de taille à l’honorer au Colosseum. Il pense, à raison, qu’elles se seraient enfuies comme les pisseuses qu’elles sont vu la réaction qu’elles ont eu après que La Bête ait broyé la tête de l’une d’elles en combat singulier. Il y aura du lourd en face, les autres maisons vont envoyer leurs meilleurs combattants dans l’espoir de taper dans les yeux et les bourses du Maître Marchand Khôl. C’est pour cela qu’il enverra Jester et Misère… ah et le petit malin qu’on vous amène justement… il semblerait qu’Hector ait, apprécié son style»
Il conclut alors sa phrase par un geste vigoureux du bras qui força le jeune Yunag à trébucher vers les gardes qui encombraient le corridor.
-« Démerdez-vous comme vous voulez, mais faites en un homme, un vrai, histoire qu’il ne meure pas trop vite ! » L’homme et son compère avaient déjà tourné les talons et s’était enfoncé dans l’obscurité du couloir étroit. Seul son rire témoignait encore de sa présence. Sun Wu fut alors placé dans la cellule située à l'extrémité du couloir... La lourde porte en fer de sa prison se referma violemment devant lui... Alors le silence s'installa à nouveau... lui permettant d'entendre une sorte de grondements provenant de la cellule située face à la sienne. Il tenta bien d'observer ce qu'il put, par la petite fenêtre entravée de barreaux dessinée dans la porte, mais en vain. Il ne vit rien qu'une porte close.
Pendant ce temps-là, à l’autre bout de la ville, un personnage vêtu d’une longue toge de soie noire observait l’horizon.
Perché sur la terrasse de l’un des plus beaux palais jamais érigés en Zaerod, ses yeux sévères fixaient le ciel dont la couleur annonçant la fin de l’après-midi. D’ici, à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol, la vue sur la ville était à couper le souffle. Déjà le soleil faisait rougir les toitures en terre cuite qui recouvraient les bâtiments qui se situaient en contre bas et contrastait avec la couleur du ciel dont le bleu commençait toutefois à virer vers l’orange.
Une brise rafraîchissante remuait la toge de l’individu à la stature droite et fière et faisait onduler un pan de celle-ci à la manière de vagues. L’homme en question était grand et mince et affichait une certaine stature. Sur ses épaules étaient fixées deux épaulettes d’or desquelles, dans son dos, descendait une épaisse cape de velours écarlate. Son visage aux traits marqués était impassible, comme si ce personnage était dépourvu de la moindre émotion. Sur sa tête, ses cheveux noirs, coupés court, accueillaient une magnifique couronne dorée. Sa main droite, frêle mais ferme à la fois, agitait doucement un verre de vin, de façon à en faire se dégager les arômes boisés.
Il porta le verre à ses lèvres et les humecta du liquide alcoolisé.
Il se tenait seul, au bord de cette terrasse, qui était le prolongement extérieur d’une vaste pièce du palais, simplement séparée de celle-ci par un voilage blanc.
-« Tu sembles bien soucieux, Khôl… » dit alors une voix qui surgit de derrière le fin voilage…
Le Maître Marchand ne dit mot, se contentant de porter une seconde fois son verre à ses lèvres.
-« Pourtant tu as de quoi être fier de toi. Le départ des Dragons de Bronze te permet de donner à ta cité la renommée qu’elle mérite, avec mon aide, bien sûr » reprit-la voix
Son interlocuteur répondit alors
-« Je le crois aussi….. Les Dragons ont toujours été un peu trop… laxistes. Leur … condition actuelle nous permet de rétablir certaines choses et de rendre aux nôtres leur gloire passée. »
-« Bien… bien… et où en sont les préparatifs ? » Interrogea le mystérieux personnage dissimulé
-« Tout est prêt, ou en phase de l’être, selon vos demandes. Les plans se déroulent comme prévus. Les premiers de vos invités sont arrivés…les autres suivent. Nous avons eu recours à des moyens détournés, ayant donné pleine satisfaction, afin que tous se retrouve ici de leur plein gré et ainsi n’éveiller aucun soupçon. Evidemment, nous avons dû remplir quelques bourses et entailler quelques gorges, mais seul le résultat compte, n’est-ce-pas ? »
-« Certes… certes…. Dis m’en plus» répondit la voix.
-« La troupe de saltimbanques pouilleux de Mnénos devrait arriver d’ici quelques jours…Le vieux Chauve n'y a vu que du feu... il a vraiment cru qu'une ville comme El Hazeem pouvait vraiment trouver un intérêt à sa troupe de branques... Ikaar quant à lui, a docilement suivi la piste que nous avons laissée à son attention, sans se méfier, il devrait être aux portes de l’Océan de Sable au moment où je vous parle… et dans ses bagages une petite perle d’innocence, qui papillonne depuis quelques semaines dans leur groupe de dégénérés… Ha !!! Quelle idiote… »
-« Bien… »
-«Certes, cela prend un peu plus de temps que prévu… mais ils viendront… comme ils sont tous venus. Ils viendront »
-« Et ils mourront… » Reprit la voix.
-« Et ils mourront… » Conclu Khôl, en finissant son verre de vin avant de le jeter dans le vide.
Mais cet instant solennel disparu aussi vite qu’il n’était venu. Aussitôt l’effet de surprise estompé, le vacarme reprit de plus belle, les chants et les cris se firent à nouveau assourdissants, associés aux bruits des chopines qui trinquaient et des pièces de cuivre qui trébuchaient sur les tables.
Les gains des paris transitaient d’une main à l’autre aussi vite que les plats de viande grasse ne défilaient depuis les cuisines d’où s’échappait une odeur de graillon et de friture écœurante.
On ôta rapidement les fers du seul homme présent dans le cercle de corde, qui se tenait encore sur ses deux jambes.
A la vue des mines déconfites des parieurs, dont certains avaient quitté dépités la taverne peu après la fin du combat, personne n’avait vu venir le scénario qui s’était pourtant réellement produit sous les yeux médusés de l’assemblée.
Même Hector, néanmoins ravis du spectacle sanglant qui lui avait été offert, semblait fort surpris de la tournure des événements.
Il s’adressa alors au jeune homme qui le toisait en contrebas de l’estrade sur laquelle il siégeait.
-« Hector a pu observer maints et maints combats… de nombreuses techniques et stratégies guerrières… des armes exotiques aussi… des combattants aux styles très différents, rapportés de leurs contrées… mais il n’a pas souvenir d’avoir jamais observé un combattant si fourbe… »
La clientèle, qui entre temps s’était à nouveau tût, écoutait le Mestre avec attention et un soupçon d’inquiétude.
Elle fut d’un coup rassurée lorsqu’Hector se mit à rire à gorge déployée.
-« Mais la fourberie est une qualité indéniable dans une lutte à mort, et tu l’as prouvé à Hector. Peut-être te permettra-t-elle de vivre quelques jours de plus et de te faire un nom pendant les jeux du Carnaval » Il but bruyamment une gorgé de vin avant de reprendre.
-« A présent tu vas être conduit dans l’Ecole, où pendant les quelques jours qui nous séparent du Grand Charnier, les employés d’Hector tenteront de t’apprendre deux ou trois choses qui pourront te servir ultérieurement… et par extension, servir à Hector. Car plus de temps tu tiendras débout, et plus tu lui rapporteras… Mais assez de ces considérations pécuniaires qui ne te concernent de toute façon en aucun cas… Avant de t’expédier au ludus, Hector a besoin de connaître le nom de celui qui le représentera sur le sable, lors des jeux… tu as bien un petit nom ???».
L’oriental, qui n’avait prononcé le moindre mot depuis sa victoire, parla enfin.
-« Sun Wu, je me nomme Sun Wu Yuang. »
A l’évocation de son nom, Hector fut comme frappé de stupeur et eut bien du mal à retenir un rire dément laissant apparaître ses dents noircies et gâtées. Ses mains jouaient nerveusement avec les anneaux précieux qui ornaient ses doigts boudinés. Il répondit alors, tout en toisant Sun Wu de son œil de rubis écarlate :
-« Yuang… est un nom qui n’est inconnu pour personne… même ici. Est-il possible que tu sois issu de la famille qui gouverne la province du Thé Jaune? »
Pour toute réponse, Sun Wu se contenta de préciser :
-« J’ai un oncle nommé Toshiro, en effet. »
Visiblement épaté, Hector entra dans une euphorie presque infantile, s’agitant tel un poisson qu’on sort de l’eau.
-« Mes amis la chance nous sourit enfin, un invité de marque vient de rejoindre la Maison d’Hector !!! Le Maitre Marchand Khôl le récompensera grassement pour cette offrande que je lui ferai pour les Jeux !!! »
La liesse générale s’empara alors de la taverne, plus sauvage et bruyante que jamais. Certains clients montaient sur les tables, d’aucun chantaient des chansons aux paroles graveleuses, d’autres enfin, emportés par l’hystérie ambiante passaient leur nerfs sur les filles de joie qui déambulaient lascivement dans l’endroit.
Alors que le vacarme couvrait presque sa voix, Hector intima l’ordre à deux hommes lourdement armés d’emmener son prisonnier.
L’instant d’après Sun Wu Yuang fut conduit à l’intérieur d’un complexe d’entrainement qui jouxtait la taverne.
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Quelques minutes plus tard, l’oriental était traîné de force au travers d’un vaste cours sablonneuse, au milieu de laquelle se tenait une petite dizaine de combattants qui s’entraînaient avec ardeur. Son passage ne passa pas inaperçu et à l’instar du nouveau qui rejoint une classe d’école, attira tous les regards des combattants sur lui.
La plupart d’entre eux semblait savoir se battre correctement, mais le bref passage dans cette cours lui laissa quand même entrevoir quelques faiblesses techniques, des prises d’armes mal assurées, des déplacements hésitants… A priori, tous les esclaves ne faisaient pas de bons combattants… du moins ceux-là ne l’impressionnaient nullement.
Après ce passage furtif de Sun Wu, les gladiateurs reprirent rapidement le cours de leurs occupations, rappelés à l’ordre par le claquement du fouet de leur mentor.
Les gardes d’Hector accompagnés de leur prisonnier, pénétrèrent alors dans le complexe proprement dit, un long et large bâtiment en pierres de taille, qui semblait vieux de plusieurs siècles…
Comme dans la taverne d’Hector, la luminosité y était très faible. Les étroits corridors qui permettaient de s’acheminer vers les différentes pièces n’étaient éclairés que par quelques torches accrochées aux murs tous les quinze ou vingt pas… En plus de l’obscurité tenace qui régnait dans ce lieu, il y faisait également atrocement chaud et l’air y était rare… rendant l’atmosphère suffocante.
Par ailleurs, le silence régnait. Seuls les bruits de pas et du grincement des portes de bois qui s’ouvraient sur leur passage rompaient quelque peu avec la monotonie ambiante.
Leur trajet les conduisit à une sorte de salle commune, simplement pourvue de bancs et tables en bois non traités où devaient probablement être servis les repas en provenance de la cuisine située non loin, et d’où s’échappaient une odeur de soupe peu appétissante, avant de traverser ce qui devait s’apparenter à l’armurerie mise à disposition des combattants, dans laquelle étaient disposés contre les murs de pierres brutes, des râteliers d’armes plutôt bien fournis.
Rien ne manquait, notamment pour ce qui concernait les épées, courtes et longues, bâtardes, claymores, ciselées ou non, et mêmes quelques spécimens exotiques à lames fines et courbes que connaissait bien Sun Wu, appelées Katana, Wakizashi, ou encore No-Dashi dans sa contrée d’origine. Les autres types d’armes n’étaient pas en reste, haches, fléaux, marteaux de guerre à une ou deux mains, tridents, fouets, filets de combat… Visiblement on avait apporté un souci particulier à ce qu’aucune arme ne puisse faire défaut à qui la demande…
Dans une autre partie de la pièce, de nombreux mannequins en bois, grossièrement assemblés, supportaient des pièces d’armures de factures diverses, en cuir bouilli pour la plupart, mais aussi en maille ou en plaque pour quelques rares autres.
En traversant cette armurerie, Sun Wu ne put empêcher son esprit de s’imaginer tenter l’impossible en se ruant sur un râtelier pour se saisir d’une arme et se débarrasser de son embarrassante escorte… mais ce fut de courte durée. La promiscuité des lieux faisant de cette idée, une entreprise absolument suicidaire.
Il se laissa donc guider jusqu’au bout. Après être descendu de quelques niveaux sous terre, à l’aide d’un ascenseur à poulie, il parvint jusqu’aux quartiers des esclaves, qui n’étaient rien d’autre qu’une prison dans laquelle une allée centrale unique donnait accès à la vingtaine de cellules dans lesquelles étaient enfermés les combattants après leurs longues journées d’entrainement.
Au contraire des niveaux supérieurs, il régnait ici une agitation déconcertante et anormale. Les gardes semblaient en état d’alerte. Ca allait et venait, de façon désorganisée, dans l’empressement et la colère parfois.
Un petit attroupement de gardes au milieu du couloir rendait impossible l’accès aux cellules situées au fond du couloir, et cela semblait gêner les deux escorteurs missionnés par Hector. L’un deux interpella les gardes qui leur tournaient le dos et n’avaient pas remarqué leur arrivée.
-« Hey là, vous, hors de notre chemin, laissez-nous passer, nous avons un prisonnier à vous confier, sur ordre d’Hector » dit-il en aboyant
Visiblement surpris, l’un des gardes se retourna, laissant alors entrapercevoir un corps démembré gisant au milieu de la pièce.
-« C’était une jeune recrue – dit-il en désignant le cadavre au sol - Nous l’avions pourtant prévenu… il savait pourtant qu’il ne fallait pas nourrir les prisonniers seuls… Surtout pas celui qui occupe la cellule dans laquelle nous l’avons retrouvé…»
-« Mais enfin soldat, qu’est-ce que c’est que ce putain de merdier !!! » répliqua l’homme qui maintenait toujours Sun Wu fermement par le bras
-« Raaah, quel abruti… il va encore falloir tout nettoyer ! Quand vont-ils se décider à faire gaffe… c’est le troisième qu’il nous désosse depuis qu’on la mise là… et pourtant il ne s’entraîne même plus… Voilà deux cycles lunaires qu’on ne le sort plus !!! On ose à peine y glisser un bras pour lui filer à bouffer… va falloir remonter le message au porc qui te sert de patron… » souffla le garde, visiblement prêt à exploser de rage
-« Surveille ta langue, ou il se pourrait bien que le porc en question fasse mander l’un de ses gens pour te la couper… » Commenta le sbire d’Hector.
-« Ouai ouai… ça va… je sais qu’il nous paie bien pour entraîner ses recrues… mais quand même… ça devient intenable… Plus personne ne veut venir bosser ici… certains en place parlent de démission… Va falloir récupérer votre trouvaille»
-« Calme toi, la trouvaille en question, elle sort dans sept jours, pour le Grand Charnier, et vu le concept, je pense que vous ne la reverrez plus après. Tu pourras dire aux autres gladiateurs qu’ils pourront arrêter de faire dans leur froc en pensant à "La bête" »
-« Qui d’autre est prévus pour la sauterie ? » demanda le garde
-« Personne d’autre. Mestre Hector a décidé que les pucelles que vous avez formées n’étaient pas de taille à l’honorer au Colosseum. Il pense, à raison, qu’elles se seraient enfuies comme les pisseuses qu’elles sont vu la réaction qu’elles ont eu après que La Bête ait broyé la tête de l’une d’elles en combat singulier. Il y aura du lourd en face, les autres maisons vont envoyer leurs meilleurs combattants dans l’espoir de taper dans les yeux et les bourses du Maître Marchand Khôl. C’est pour cela qu’il enverra Jester et Misère… ah et le petit malin qu’on vous amène justement… il semblerait qu’Hector ait, apprécié son style»
Il conclut alors sa phrase par un geste vigoureux du bras qui força le jeune Yunag à trébucher vers les gardes qui encombraient le corridor.
-« Démerdez-vous comme vous voulez, mais faites en un homme, un vrai, histoire qu’il ne meure pas trop vite ! » L’homme et son compère avaient déjà tourné les talons et s’était enfoncé dans l’obscurité du couloir étroit. Seul son rire témoignait encore de sa présence. Sun Wu fut alors placé dans la cellule située à l'extrémité du couloir... La lourde porte en fer de sa prison se referma violemment devant lui... Alors le silence s'installa à nouveau... lui permettant d'entendre une sorte de grondements provenant de la cellule située face à la sienne. Il tenta bien d'observer ce qu'il put, par la petite fenêtre entravée de barreaux dessinée dans la porte, mais en vain. Il ne vit rien qu'une porte close.
Pendant ce temps-là, à l’autre bout de la ville, un personnage vêtu d’une longue toge de soie noire observait l’horizon.
Perché sur la terrasse de l’un des plus beaux palais jamais érigés en Zaerod, ses yeux sévères fixaient le ciel dont la couleur annonçant la fin de l’après-midi. D’ici, à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol, la vue sur la ville était à couper le souffle. Déjà le soleil faisait rougir les toitures en terre cuite qui recouvraient les bâtiments qui se situaient en contre bas et contrastait avec la couleur du ciel dont le bleu commençait toutefois à virer vers l’orange.
Une brise rafraîchissante remuait la toge de l’individu à la stature droite et fière et faisait onduler un pan de celle-ci à la manière de vagues. L’homme en question était grand et mince et affichait une certaine stature. Sur ses épaules étaient fixées deux épaulettes d’or desquelles, dans son dos, descendait une épaisse cape de velours écarlate. Son visage aux traits marqués était impassible, comme si ce personnage était dépourvu de la moindre émotion. Sur sa tête, ses cheveux noirs, coupés court, accueillaient une magnifique couronne dorée. Sa main droite, frêle mais ferme à la fois, agitait doucement un verre de vin, de façon à en faire se dégager les arômes boisés.
Il porta le verre à ses lèvres et les humecta du liquide alcoolisé.
Il se tenait seul, au bord de cette terrasse, qui était le prolongement extérieur d’une vaste pièce du palais, simplement séparée de celle-ci par un voilage blanc.
-« Tu sembles bien soucieux, Khôl… » dit alors une voix qui surgit de derrière le fin voilage…
Le Maître Marchand ne dit mot, se contentant de porter une seconde fois son verre à ses lèvres.
-« Pourtant tu as de quoi être fier de toi. Le départ des Dragons de Bronze te permet de donner à ta cité la renommée qu’elle mérite, avec mon aide, bien sûr » reprit-la voix
Son interlocuteur répondit alors
-« Je le crois aussi….. Les Dragons ont toujours été un peu trop… laxistes. Leur … condition actuelle nous permet de rétablir certaines choses et de rendre aux nôtres leur gloire passée. »
-« Bien… bien… et où en sont les préparatifs ? » Interrogea le mystérieux personnage dissimulé
-« Tout est prêt, ou en phase de l’être, selon vos demandes. Les plans se déroulent comme prévus. Les premiers de vos invités sont arrivés…les autres suivent. Nous avons eu recours à des moyens détournés, ayant donné pleine satisfaction, afin que tous se retrouve ici de leur plein gré et ainsi n’éveiller aucun soupçon. Evidemment, nous avons dû remplir quelques bourses et entailler quelques gorges, mais seul le résultat compte, n’est-ce-pas ? »
-« Certes… certes…. Dis m’en plus» répondit la voix.
-« La troupe de saltimbanques pouilleux de Mnénos devrait arriver d’ici quelques jours…Le vieux Chauve n'y a vu que du feu... il a vraiment cru qu'une ville comme El Hazeem pouvait vraiment trouver un intérêt à sa troupe de branques... Ikaar quant à lui, a docilement suivi la piste que nous avons laissée à son attention, sans se méfier, il devrait être aux portes de l’Océan de Sable au moment où je vous parle… et dans ses bagages une petite perle d’innocence, qui papillonne depuis quelques semaines dans leur groupe de dégénérés… Ha !!! Quelle idiote… »
-« Bien… »
-«Certes, cela prend un peu plus de temps que prévu… mais ils viendront… comme ils sont tous venus. Ils viendront »
-« Et ils mourront… » Reprit la voix.
-« Et ils mourront… » Conclu Khôl, en finissant son verre de vin avant de le jeter dans le vide.
Mortelune- En formation de Maître
Re: Bienvenue en Enfer
YESSSSSSSSS j'ai finit de lire <3 <3 <3
aha un vrai défi c'est ENORME comme texte
n'empêche c'est juste super bien écrit , les descriptions sont fantastiques et on est entraîné dans l'atmosphère
j'adore le tableau de la taverne avec hector
au début, les souffrances du périples sont particulièrement bien décrites
Sincèrement je trouve que ce que t'as écrit est en un mot : excellent ^^
voilà en attendant la suite
aha un vrai défi c'est ENORME comme texte
n'empêche c'est juste super bien écrit , les descriptions sont fantastiques et on est entraîné dans l'atmosphère
j'adore le tableau de la taverne avec hector
au début, les souffrances du périples sont particulièrement bien décrites
Sincèrement je trouve que ce que t'as écrit est en un mot : excellent ^^
voilà en attendant la suite
Dernière édition par yellowhub le Ven 27 Fév - 18:33, édité 1 fois
yellowhub- Maître
Re: Bienvenue en Enfer
C'est une sorte de spin of/suite de au gre du vent.
Donc c est un rp^^
Voila.
Donc c est un rp^^
Voila.
Mortelune- En formation de Maître
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