Re: Larmes noires.

[ဇီးကွက် (Isandra)]

« Oui… Tu vois juste, je suis l'un des fils d'Asmodée. Tu peux m'appeler Aexon, elfe noire, tu peux m'appeler maître, tu peux m'appeler dieu de la haine, dieu de la destruction, dieu de la désolation, du chaos. »

               

Telle fût la réponse du démon. Si ce qu’il disait était vrai, Aexon était une créature immensément puissante, destructrice et sûre d’elle. Isandra se sentait prête à le suivre dans sa folie, s’imaginant déjà faire couler le sang de centaines d’innocents, avant que la folie meurtrière d’Aexon ne raye de la carte des villes entières. La voix du démon l’arracha de ses pensées.

« Regarde... moi... »
               

Aexon plongea ses yeux rougeoyants dans les siens. Sa peau commença à frémir, de la fumée s’échappa des marques noires de sa peau, puis un liquide noir dégoulina le long de son corps, formant une flaque sur le sol. Le liquide remuait à son tour. Il s’étendit sur le sol, formant un cercle autour d’elle. La fumée s’épaississait, mais Isandra pouvait encore distinguer deux leurs de braise en face d’elle, qui partirent en fumée elles aussi.

« Ce que je vais faire… »
               

La voix était aigüe, grinçante, inhumaine. Elle dévoilait à elle seule la puissance, la cruauté d’Aexon. Elle laissait imaginer un être obscur et sans pitié. Elle reflétait à elle seule ce qu’était le démon.

               

La fumée s’estompa. Elle dévoila un amas de la matière noire qu’Isandra avait précédemment vu. De ce qui aurait été son dos si elle avait été humaine, la forme laissait dépasser deux ailes décharnées. L’Elfe Noire put observer au sol la peau sèche du cadavre. Rapidement, la flaque noire s’allongea, se roula sur elle-même. Finalement, une de ses extrémités s’approcha de son visage, puis se mua en une tête de serpent horrible, avec des crocs immenses et des yeux de feu, plus brûlants et malveillants que ceux du cadavre.

               

Isandra comprit alors. Le serpent avait mué.

               

Aexon lui parlait encore. Sa voix était devenue envoûtante. Fermant les yeux, Isandra sentit se déverser en elle toute la haine, la colère irraisonnée qui l’habitait depuis que son peuple avait été tué. Elle ressassait le déchirement qu’avait été la perte de sa magie, le déchirement de savoir que tous ses plans de vengeance sur les autres peuples s’écroulaient, puis enfin la détermination qui était survenue, l’unique but qu’elle s’était alors fixé : exterminer les autres peuples à elle seule. Emplie à nouveau de cette détermination, elle entendit le démon :


« Serais-tu capable de sceller un pacte avec un démon… Isandra ? »


Après une courte pause, il reprit :

« Voilà ce que je compte faire, te faire gouter à ma puissance, te la prêter, et voir ce que tu serais capable de faire avec ! Je sens en toi un si grand potentiel… Je ne te ferais pas de mal… Je te le promets. »

               

Pendant que le démon prononçait ces mots, Isandra laissa à nouveau tous ses sentiments se déchaîner en elle. Elle s’imagina possédant la force incommensurable du démon, capable à elle seule de raser villages, villes et pays, capable à elle seule d’exterminer toute forme de vie.

               

Elle n’hésita même pas lorsque ces mots franchirent ses lèvres :

« Oui, Aexon, j’en suis capable… Je le veux… Je veux être puissante, immense, inarrêtable… Je veux ton pouvoir et ta cruauté… Je veux détruire, je veux tuer, je veux brûler, découper, trancher, raser, transpercer… Je veux tuer… Tuer… »

               

Elle était en transe. Ce n’était plus elle qui s’exprimait. Elle rouvrit les yeux. Des yeux noirs, farouches, féroces. Tuer était devenu son objectif, et le démon le sentit. Il n’attendit pas un instant. Dès qu’Isandra eût fini de parler, il fondit sur elle. Il referma ses immenses crocs de serpent autour d’elle. Entièrement recouverte de matière noire, Isandra sentit le démon s’infiltrer à travers sa peau, son nez, ses yeux, sa bouche. Aexon fusionnait avec elle. Soudain, elle eut mal. Une douleur immense se propagea sur son épiderme. Son corps entier était en feu. Elle ouvrit la bouche pour crier, mais cela n’eut pour effet que d’intensifier le flot de démon qui entrait dans son corps.

               

Mais la pire douleur ne fut pas physique. Elle fut mentale. Isandra sentit l’esprit du démon s’insinuer vers le sien. Cet esprit était hostile, brûlant de rage, mais joyeux. Elle comprit alors : elle s’était donnée au démon, qui ne voyait en elle qu’un être à manipuler, comme le fermier avant elle. Elle allait finir comme lui, pantin au service d’une force monstrueuse, qui allait se débarrasser d’elle ensuite, lorsqu’il serait lassé.

« NON ! », hurla-t-elle intérieurement.

               

Elle entendit presque le rire du démon dans son esprit. Mais il se trompait. Isandra n’avait pas poussé un cri de désespoir. Elle avait hurlé de rage. Isandra dressa alors tout son esprit contre Aexon, l’attaquant avec une force inouïe. Le démon, pris par surprise, ne résista pas. L’esprit de l’Elfe Noire força Aexon à se soumettre, puis fusionna avec lui. Les deux êtres étaient liés par le même corps. Deux êtres consumés par la haine et la violence étaient réunis.

               

Lorsqu’Isandra ouvrit les yeux, ceux-ci étaient plus noirs qu’avant la transformation. En les regardant, on plongeait dans des abîmes sans fond, des abîmes immuables, insensibles. Au centre de ces yeux, pourtant, on pouvait distinguer des flammes rouges, brûlantes de haine, de colère. Le démon. Aexon.

               

Lorsqu’on regardait ces yeux, on regardait sa mort.