La déesse maudite

[Isil Tàriwingar]

Elle sentait autour d'elle le poids des regards, chargés d'accusation. Son souffle s'accéléra et elle eut le sentiment de tout perdre à chaque mouvement. Ses convictions se brisèrent, sa mémoire vola en éclat, son âme devint un fétu de paille balloté. Dans sa tête chuchotait des centaines de voix, la harcelant sans relâche. Isil hurla:

-Lâchez moi!! Allez vous en!!!

Pourquoi? Pourquoi? Elle n'avait rien fait de mal, seulement joué quelques tours à ces humains, maladroits et patauds: amener une petit maladie, arracher quelques récoltes... Ils ne valaient rien, lui arrivaient à peine à la cheville, alors pourquoi devrait-elle les respecter?

Son père tout comme sa mère était deux vieux kitsunes au pelage doré et aux neufs queues bien fournies. La sienne était encore rousse, signe de sa jeunesse. Elle avait grandie entourée de renards et de kitsunes. On lui avait inculqués qu'elle était supérieure aux humains.

Elle revit à toute vitesse les visages des humains qu'elle avait abreuvé de malheur pour son propre plaisir et les malédictions dont ils l'avaient chargées. Désormais, on chuchotait sur son passage son nouveau nom: "celle des Mille malédictions". Ses pouvoirs étaient bridés par ces malédictions, son destin était bouleversé par ces malédictions et elle même n'en pouvait plus. Alors, pour ce venger, elle avait commis l'irréparable. A l'aide de ses pouvoirs,elle avait décimé un village entier en une nuit.

Maintenant, le cercle des Anciens la jugeait, fouillait son âme afin de trouver une sentence appropriée en plus de ces malédictions qui la rongeait. Soudain, ils se retirèrent de son esprit, la laissant haletante et nue, sous sa forme humaine, dans la salle. Leurs visages d'ordinaire impassible exprimait désormais de la haine et du mépris. Okhoa, le porte parole, se leva et prononça leur décision:

-Nous te condamnons, Isil Tàriwingar, Celle-aux-mille-malédictions, a être exilée chez les humains et à réapprendre les sentiments par toi-même. Tu perdra ta forme de kitsune pendant cette période mais nous te laissons tes pouvoirs. Fais en bon usage.

Isil pleura. C'était la pire peine. Elle aurait préféré mourir plutôt que subir cette honte. Puis ce fut le vide.

Elle se réveilla au beau milieu d'une forêt sous sa forme humaine: celle d'une jeune fille magnifique, attirant les hommes dans ses filets pour leur dérober ce qu'elle souhaite. Elle se sentait vide, lisse. Rien ne la troublait. Elle n'aimait rien, ne détestait rien, n'admirait rien. L'exilée se leva et se dirigea vers la ville qu'elle voyait au loin, sans rien d'autre qu'un étrange instinct la poussant vers l'avant...