[Eglise] Le Temple de Père Yé

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Ce matin encore, Frère Smirr s'affaire tranquillement près de sa remise. La célébration n'est pas pour aujourd'hui, mais les corvées sont toujours là : nettoyer l'église, et faire de la liqueur de Père Yé, bien sur ! Tout pour que le Dieu soit satisfait de ses fidèles, et que Clantor bénéficie de la joie et du savoir de Yé.

L'église... Un bien calme lieu, en amont des activités de Clantor. Elle est construite au sommet d'une colline, non loin de Clantor. Et elle resplendit. Tous les jours, Smirr s'occupe de la nettoyer, et de tout maintenir en place. De cette manière, tout le monde saura que la maison de Père Yé est un endroit accueillant. Cela fait d'ailleurs longtemps que personne n'est venu voir ce pauvre frère Smirr... Rien de grave, le travail ne manque pas !

[Melkerah]

Dans le ciel, loin au-dessus de l'édifice religieux, un observateur attentif verrait peut-être l'étincelle vert émeraude qui scintillait, avançant lentement sous la voûte azurée.
Melkerah voyageait encore et toujours à travers le monde, poursuivant inlassablement sa quête malgré le découragement qui la gagnait insidieusement depuis quelque temps. Mais pire encore que ce désespoir grandissant, ce qui préoccupait la jeune dragonne était, outre l'estime qu'elle était venue à porter aux petits humains, le désir qu'elle avait de chercher du réconfort auprès d'eux. Elle était une dragonne, un Seigneur des Cieux, née pour dominer tout être vivant, infiniment supérieure à ces mammifères bipèdes ! Mais ce discours, qu'elle avait tenu si longtemps, commençait à sonner creux à ses propres oreilles.
En survolant Cantor une énième fois, essayant vainement de décider si elle devait y retourner ou tourner le dos à cette ville pleine de souvenirs pour elle, elle aperçut au loin un bâtiment qui l'avait toujours laissée perplexe à cause de son utilité mystérieuse. Il était grand et dégageait une aura différente des autres constructions de la région. Estimant qu'elle avait déjà volé longtemps et que la faim ne tarderait pas à se manifester, elle décida de faire une pause et d'en profiter pour étudier ce mystère humain.
Décrivant de larges cercles dans le ciel, elle descendit tranquillement des cieux jusqu'à atterrir près de l'édifice. Il était nettement plus grand que la plupart des constructions humaines, apparemment conçu pour être beau et impressionnant plus que pour être fonctionnel. La jeune dragonne s'approcha de la grand porte en bois usé par le temps, presque aussi grande qu'elle-même du haut de ses deux mètres cinquante, et donna un coup de museau dedans pour signaler sa présence à l'humain dont elle percevait vaguement l'odeur.

#Ouvrez-moi, humain# lança-t-elle par la pensée #Je ne viens pas vous faire de mal#

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Smirr releva la tête.

"Père Yé ? M'avez vous parlé ? Que... vous ouvrir ? J'arrive de suite !"

Tout occupé qu'il était à nettoyer l'autel pour la troisième fois de la journée, il accouru vers la lourde porte de bois. Il ôta de loquet, et plutôt que d'ouvrir la petit porte fonctionnelle réservée au fidèles et humanoïdes de tous types, il ouvrit la porte en grand, comme il sied lorsqu'on accueille un Dieu. Il ne regardait que le sol ce faisant, car comme chacun sait, on ne peut regarder un Dieu sans perdre ses yeux, sauf si celui-ci le permet. Mais Smirr se savait trop insignifiant pour que Père Yé lui offre cet honneur, et n'eut pas la présomption de le lui demander. Il se contenta de regarder le sol, même après que la grande porte fut ouverte, et qu'il se fut placé sur le côté pour laisser son maître entrer dans sa demeure. Il ne put tout de même retenir un hoquet de surprise lorsqu'une énorme queue écaillée lui passa au dessus de la tête.

"Père Yé ! Cet édifice ne sied pas à un Dieu de votre rang ! Vous devriez vous rendre à Cristal l'Ine, ou se trouve votre cathédrale !"

[Melkerah]

La jeune dragonne émeraude fut surprise, quoique agréablement, par la déférence que montra l'humain en l'accueillant dans la grande construction de pierre. Encore sous l'effet de ses deux jours de vol, Melkerah ne remarqua pas tout de suite la méprise de l'homme quant à son identité. Elle se contenta de pénétrer dans le bâtiment agréablement frais et de s'étendre sur le flanc pour reposer ses muscles fatigués.
Ce n'est que quelques minutes plus tard que les paroles du prêtre arrivèrent jusqu'à sa conscience.

#Père Yé...? Dieu...?# elle tourna son regard d'azur vers l'humain, le scruta longuement, puis posa sa tête massive sur le sol #Vous devez vous tromper de personne, on ne m'a encore jamais appelée comme ça. Mais je suis ravie de constater que vous reconnaissez ma noblesse.#

Se sentant déjà moins lasse, elle tendit le cou pour contempler l'intérieur du mystérieux bâtiment. Il y avait ici un petit quelque chose qui lui plaisait, contrairement à tout ce qu'elle avait pu voir des constructions humaines toujours étriquées et fades.

#A quoi sert cet endroit ?# interrogea-t-elle.

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Pas un Dieu ? Oh, fort bien, Smirr pouvais donc regarder l'entité qui venait d'entrer en son église. Il releva la tête, et un petit cri de panique s'échappa de sa gorge.

"Vous... vous.. vous êtes... Ah ! Vous... n'allez pas me manger, n'est-ce pas ? ..."

Il recula en toute hâte vers un coin de l'église, jaugeant la dragonne, qui venait de détruire une rangée de bancs en s'installant.

"Je... C'est un... temple... A la gloire de Père Yé, notre Dieu à tous, qui veille sur tous et s'assure que tous soient pourvus d'un bon repas ! Je... je m'en occupe... depuis quelque temps... Je.... Il vous plaît ?"

Il tremblait de terreur à la vue du monstre au beau milieu de son église.

"Je... S'il vous plaît, votre... dragonosité... Ne détruisez pas ce temple.... Je vous en conjure !"

Et il se prosterna, face contre terre, espérant de tout cœur que la dragonne ne fut pas malintentionnée, et priant Père Yé de le tirer de ce mauvais pas.

[Melkerah]

La dragonne regarda le prêtre avec des yeux ronds. Elle avait désormais une certaine habitude des réactions terrifiées des humains face à elle, et à vrai dire elle adorait ça, mais là, quand même, il y allait fort ! Elle avait demandé à entrer sans défoncer ou brûler la porte, avait annoncé ses intentions pacifiques et s'était simplement allongée pour reprendre des forces, et lui la croyait visiblement sur le point de tout ravager et de le dévorer !

#Ai-je l'air si ravagée de folie sanguinaire que vous me suppliez de ne pas commettre un massacre que je n'ai aucune raison, ni même aucune envie de commettre ?# interrogea-t-elle avec un petit air cynique #J'ai faim, je vous l'avoue, mais j'avais plutôt l'intention de vous demandez ce que vous avez. Quant à votre... temple... Je n'aime pas les constructions des bipèdes, mais celle-ci est plutôt agréable.#

Pendant qu'elle parlait directement dans la tête du prêtre, elle avait continué de regarder le décor qui l'entourait.

#Je ne sais pas bien ce qu'est un dieu et n'ai jamais entendu parler de Père Yé, mais s'il assure la nourriture, je suis bien contente d'être arrivée ici !# commenta-t-elle.

Puis elle jeta un regard agacé à Smirr.

#Cessez de me regarder comme si je vous menaçais de vous brûler vif !#

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"Je... Oui, bien sur ! Euh... Malheureusement... Je n'ai pas assez de nourriture pour vous, j'en ai peur... On reçoit plus souvent des humains ou des elfes, par ici... C'est d'ailleurs la première fois qu'un dragon frappe à la porte de l'église !"

Smirr reprenait ses esprits. La dragonnne avait l'air en colère parce qu'il avait peur qu'elle le tue. Autant reprendre une contenance, pour éviter cette fin tragique. Il réfléchissait tout de même à toute vitesse. Ou pourrait-il trouver tant de nourriture ? Père Yé lui accorderait-il une bénédiction pour cet être ? Tant de questions restées sans réponse.

"Je vous demande un instant ! Je... je vais vérifier nos réserves !"

[Melkerah]

La jeune dragonne s’affaissa légèrement quand l'humain lui avoua qu'elle était le première dragonne à venir ici. Ç’avait beau être une évidence, elle ne put empêcher son désespoir de l'écraser un peu plus. Elle se tut tandis qu'il allait voir ses réserves, le regard dans le vague. Puis elle fit remarquer :

#Si vous n'avez pas de nourriture préparée, ce n'est pas grave. Mais si vous avez du bétail, je me contenterai très bien de vous prendre une ou deux bêtes. Vous devez bien en avoir si ce Père Yé offre des repas ?#

S'étirant les ailes, Melkerah renversa une statue à la gloire du Dieu patron des gourmets par inadvertance. Elle tourna la tête vers la sculpture de pierre qui venait de perdre le panier de nourriture qu'il tenait et les bras avec, et songea que ça déplairait certainement au maître des lieux. Regardant du côté où était parti Smirr pour surveiller son retour, elle poussa la statue derrière un gros pilier couvert d'une vigne délicatement sculptée.

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Smirr passa la tête par une petite porte, sur le côté de l'église.

"Hum... Nous avons en effet du bétail, enfin... quelques moutons... Oh ! Ne vous embêtez pas avec la statue, je la réparerais plus tard, laissez la ici... Bref... Voulez vous que je les cuise, ou les préférez vous crus ? Je vous avoue ne pas connaître les habitudes alimentaires draconiques... Nous avons du vin, aussi, si vous voulez, de pleins tonneaux. Ou de l'eau de Père Yé, comme vous préférez... Elle est normalement réservée pour les grandes occasions, mais... Un dragon est une grande occasion, j'imagine... Nous avons aussi de l'eau de rivière, classique, si j'ose dire. Enfin, comme vous préférez."

Il s'arrêta, repris son souffle, et attendit la réponse de la dragonne, gênée d'avoir été prise sur le vif dans son délit de dissimulation de statue brisée.

[Melkerah]

La jeune dragonne grimaça à l'évocation des animaux laineux. Quoi de pire que ces bestioles rachitiques qui laissent des boules de poils sales entre les crocs et jusque dans la gorge ? Mais elle n'allait pas faire sa difficile : elle avait faim et n'aurait qu'à chasser quand elle aurait repris des forces.

#Un ou deux moutons crus iront très bien... Mais enlevez leur ce paquet de poils inutiles !# ordonna-t-elle avant de se souvenir que la politesse avait des avantages non négligeables #S'il vous plait. Et je goûterais volontiers ce vin !#

Elle n'avait jamais bu d'alcool, cette boisson que les humains vénéraient tant, et était très curieuse de comprendre ce que ce liquide avait de si spécial.
Décidément, ce petit humain était très appréciable malgré sa servilité terrifiée : il reconnaissait la noblesse de la créature émeraude qu'il accueillait et ne rechignait pas à le dire. Melkerah ne retint pas le léger ronronnement grave et vibrant qui montait de sa gorge.

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Smirr sentit que la dragonne était contente. Il s'empressa de sortir, pour choisir deux moutons et les tondre. Il revint trente minutes plus tard, tirant les deux moutons au bout d'une corde derrière lui.

"Euh... Vous préférez que je les tue moi-même, ou les manger vivants ?"

Sa question était légitime ; il ne savait pas du tout ce que mangent les dragons habituellement.

"Pour le vin, il ne va me rester qu'un tonneau, ca ne vous dérange pas ? Il faut que je retourne en ville faire des réserves..."

[Melkerah]

En guise de réponse à la première question du prêtre, Melkerah égorgea la première bête d'un coup de mâchoires, puis, trouvant les cris terrifiés du second fort agaçants, en fit de même pour ce dernier. Elle détacha soigneusement la tête du corps de ses repas, gardant comme toujours le meilleur pour la fin, puis se mit à dévorer ses proies à grand renfort de bruits à glacer le sang de n'importe que humain.

#Je me contenterai d'un seul tonneau, merci# dit-elle d'un ton seigneurial.

Elle mangea la moitié du premier mouton en moins d'une minute, le museau sanguinolent, avant de ralentir un peu le rythme. Se sentant déjà mieux, elle en profita pour interroger le bipède.

#N'a-t-on jamais vu d'autres dragons dans la région ? Ou n'importe où ailleurs...#

Malgré ses efforts pour paraître absolument calme, une légère nuance d'inquiétude perçait dans sa voix mentale.

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Smirr la regarda un peu manger, pris d'une fascination pour cette créature immense.

#N'a-t-on jamais vu d'autres dragons dans la région ? Ou n'importe où ailleurs...#

"Ah, euh... Personnellement, je n'en ai jamais vu, enfin, a part vous, mais... euh... certains de mes fidèles disent en avoir apercu un, rouge sombre, il y a 30 ans... Enfin, ca fait longtemps, donc..."

Il sortit pour aller chercher le tonneau, et revint peu de temps après, en le roulant devant lui. Il enleva le couvercle.

"Euh... Voila le vin... J'ai... Quelques tâches a effectuer au dehors, donc... Je vais vous laisser un instant..."

[Melkerah]

La jeune dragonne sursauta à l'évocation de cet autre dragon. Il y aurait un dragon rouge en vie dans le pays ? C'était il y a 30 ans, mais elle ne pouvait pas croire qu'il soit mort entre temps. Ce serait trop dur à accepter. On lui avait dit que les races de dragons étaient très différentes les unes des autres, mais peu lui importait. Et ce vieil homme qui lui avait donné ses premières connaissances du monde était de toute façon fou et n'avait pas mis longtemps à transiter par son estomac.
Elle reprit contenance, rechignant à montrer ce qu'elle voyait comme une faiblesse au prêtre. Il devait continuer de la voir comme une merveille de puissance et de beauté.

#Merci pour le vin# dit-elle de ce ton supérieur qu'elle affectionnait de plus en plus #Rassurez-vous, je vais me débrouiller avec le tonneau. Et je ferai attention à votre... temple#

Disant cela, elle faucha un alignement de cierges d'un mouvement de queue. Penaude, elle fit un regard d'excuse au pauvre prêtre qui n'avait probablement jamais appris à gérer un dragon dans la demeure de son dieu.

A l'extérieur, une nouvelle surprise attendait le pauvre Smirr dont les nerfs devaient commencer à lâcher. En effet, alors qu'il se dirigeait vers le puits consacré de Père Yé, il y découvrit une bien étrange jeune femme, assise sur la margelle, en train de dévorer un lièvre cru à pleines dents. Elle était plutôt petite, extrêmement pâle, en contraste saisissant avec ses cheveux et ses yeux noir de jais, et sa cuirasse de cuir souple agrémentée d'un sabre au fourreau et de trois dagues ne laissait aucun doute quant à ses activités.
Elle le regardait sans ciller tandis qu'il approchait.

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